Au Coeur Du Troisième Reich
presque à contrecœur, ce qui allait bien avec les circonstances.
Peu après, nous étions tous réunis, comme si souvent déjà, autour de la table de conférences, dans l’étroite pièce du bunker réservée à cet usage. En face de Hitler avait pris place Göring. Lui qui d’habitude accordait tant d’importance à l’apparence extérieure, avait apporté depuis quelques jours de notables modifications à sa façon de s’habiller. A notre grande surprise, son uniforme n’était plus coupé dans le tissu gris argent habituel, mais dans le drap gris brun des uniformes américains. En même temps, ses épaulettes larges de cinq centimètres et brodées d’or avaient fait place à de simples épaulettes en tissu, sur lesquelles l’insigne de son grade, l’aigle d’or de Reischsmarschall, était fixé. « Un vrai général américain », me murmura à l’oreille un des participants. Mais Hitler ne parut même pas remarquer ce changement.
Pendant la « conférence », on parla de l’imminence de l’attaque contre le centre de Berlin. Dans l’esprit de Hitler, l’idée de ne pas défendre la métropole pour, au contraire, se replier sur sa forteresse des Alpes avait, pendant la nuit, fait place à la décision de se battre pour cette ville, au besoin dans ses rues mêmes. On l’assaillit aussitôt de tous côtés pour lui remontrer qu’il n’était pas seulement opportun, mais qu’il était aussi grand temps pour lui de quitter Berlin et d’établir son quartier général à l’Obersalzberg. Göring attira son attention sur le fait que nous ne possédions plus qu’un seul couloir de communication nord-sud par le massif de la Forêt Bavaroise, cette unique voie d’évasion pouvant elle-même être coupée à tout moment. Qu’on prétendît lui faire abandonner Berlin précisément en ce moment fit s’emporter Hitler. « Comment ferai-je pour demander aux troupes de livrer cette bataille décisive pour la défense de Berlin si, dans le même temps, je cours me mettre à l’abri ? » Assis en face de lui, Göring, dans son nouvel uniforme, le visage blême et couvert de sueur, regardait, en ouvrant degrands yeux, Hitler s’échauffer au fil du discours. « C’est au destin que je laisse le soin de décider si je péris dans la capitale ou si, au dernier moment, je m’envole pour l’Obersalzberg. »
A peine la conférence d’état-major fut-elle terminée et les généraux partis, que Göring, l’air bouleversé, se tourna vers Hitler pour lui dire que des tâches urgentes l’attendaient en Allemagne du Sud, il se voyait dans l’obligation de quitter Berlin cette nuit même. Hitler le regarda, l’esprit ailleurs. Il me sembla, à le voir, qu’en cet instant il était lui-même profondément ému par sa décision de rester à Berlin et de mettre ainsi sa vie en jeu. Tendant la main à Göring, il lui dit quelques paroles insignifiantes, ne laissant pas voir qu’il l’avait percé à jour. Debout à quelques pas de là, j’eus le sentiment d’assister à un moment historique : la dislocation de la direction du Reich. C’est ainsi que finit la conférence d’état-major de ce jour anniversaire.
Avec les autres participants, je quittai la salle de conférences comme d’habitude, sans prendre personnellement congé de Hitler. Or, allant à l’encontre de nos projets initiaux, le lieutenant-colonnel von Poser m’engagea vivement à quitter moi aussi Berlin cette nuit même. Depuis longtemps déjà, nous avions tout prévu pour notre fuite. Nous avions à l’avance envoyé à Hambourg des bagages importants. Deux wagons-caravanes des Chemins de fer du Reich étaient garés sur le bord du lac d’Eutin, à proximité du quartier général de Dönitz, établi à Pion.
A Hambourg, je retournai voir le Gauleiter Kaufmann. Comme moi, il trouvait inconcevable, vu la situation, de continuer le combat à tout prix. Encouragé par son attitude, je lui donnai à lire le discours que j’avais ébauché sur une souche d’arbre dans la Schorfheide ; je n’étais pas sûr de l’accueil qu’il lui ferait. « Mais, s’exclama-t-il, il faudrait que vous le prononciez, ce discours. Pourquoi ne l’avez-vous pas encore fait ? » Je le mis au courant des difficultés que j’avais rencontrées. « Ne voulez-vous pas, reprit-il alors, que notre émetteur de Hambourg le diffuse ? Je me porte garant du directeur technique du poste. Ou alors vous pourriez au moins le faire
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