Au Coeur Du Troisième Reich
notre peuple dans sa chute. Pouvait-il exister une meilleure preuve de ma volonté de m’opposer à lui et de mon impatience de le voir mourir, que ce discours enregistré la veille ? Et pourtant, le lien sentimental qui m’attachait à Hitler n’était pas aboli : par mon souci de ne laisser diffuser le discours qu’après sa mort, je voulais lui épargner la peine d’apprendre que, moi aussi, je m’étais retourné contre lui ; une pitié grandissante pour cet homme déchu m’emplissait le cœur. Peut-être beaucoup de membres de la suite de Hitler ont-ils eu le même sentiment en ces derniers jours de sa vie. Le devoir à accomplir, les serments prêtés, l’attachement d’une longue fidélité, les sentiments de reconnaissance s’opposaient à l’amertume ressentie devant mes souffrances personnelles et les malheurs de la nation, les unes comme les autres n’ayant qu’une seule cause : Hitler.
Aujourd’hui encore, je suis heureux d’avoir pu mener à bien mon projet de revoir Hitler une dernière fois. Il était juste qu’après douze ans de collaboration, passant par-dessus tout ce qui nous opposait, je fisse ce geste. A l’époque, certes, je n’agis que mû par une force irrésistible, presque mécaniquement, quand je quittai Wilsnack pour Berlin. Avant mon départ, j’écrivis quelques lignes à ma femme, pour lui donner bien sûr du courage, mais en même temps pour lui montrer que je n’avais pas l’intention de suivre Hitler dans la mort. A environ 90 kilomètres de Berlin, le flot des véhicules roulant vers Hambourg encombrait la route. Il y avait de tout : des modèles datant du début de l’automobile et de luxueuses limousines, des camions et des camionnettes, des motos et même des voitures de pompiers. Il était impossible d’aller à contre-courant jusqu’à Berlin. Je ne pouvais pas comprendre d’où sortait tout ce carburant. On l’avait vraisemblablement stocké depuis des mois en prévision de ce jour.
A Kyritz se trouvait l’état-major d’une division. J’utilisai son téléphone pour appeler à Berlin la villa où le D r Brandt était détenu et attendait son exécution. Mais j’appris que, sur l’ordre personnel de Himmler, on l’avait transféré dans le nord de l’Allemagne où il était en sécurité. Je ne pus pas atteindre Lüschen non plus. Mais cela ne changea rien à ma décision ; au contraire, j’annonçai à un des aides de camp de Hitler ma visite pour l’après-midi. A l’état-major de la division, nous avions appris que les forces combattantes soviétiques progressaient rapidement mais qu’il ne fallait pas s’attendre à un encerclement de Berlin dans l’immédiat ; ainsi on prévoyait que l’aérodrome de Gatow, sur les bords de la Havel, resterait encore un certain temps aux mains de nos troupes. C’est pourquoi nous nous rendîmes au terrain d’essai en vol de Rechlin, dans le Mecklembourg ; on m’y connaissait car j’avais assisté là à de nombreuses présentations de nouveaux modèles et je pouvais espérer qu’on m’y donnerait un avion. Depuis cette base, des chasseurs partaient attaquer les troupes russes au sud de Potsdam. Le commandant se montra disposé à me faire transporter avec un avion-école jusqu’à Gatow. En même temps, on prépara deux « Cigognes », avions de reconnaissance mono-moteurs à vitesse d’atterrissage réduite, que l’on mit à notre disposition, à mon officier de liaison et à moi-même, pour nos déplacements à l’intérieur de Berlin et pour notre retour. Pendant qu’on préparait les appareils, j’étudiai la position des forces d’encerclement soviétiques portée sur la carte d’état-major.
Escorté par une escadrille de chasse, volant à environ mille mètres d’altitude par temps clair, à quelques kilomètres de la zone de combat, nous nous dirigeâmes vers le sud. Vue de haut, la bataille dont l’enjeu était la capitale du Reich paraissait anodine ; l’investissement de Berlin par des troupes ennemies, qui se renouvelait à presque cent cinquante ans d’intervalle, se déroulait dans une campagne dont les routes, les villages et les bourgades, que d’innombrables périples m’avaient fait si bien connaître, respiraient une paix presque inquiétante. On ne voyait en fait que de brefs éclairs, n’ayant l’air de rien, canons qui tiraient ou obus qui tombaient, à l’éclat à peine plus fort que la brève flamme d’une allumette qu’on craque,
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