Au Coeur Du Troisième Reich
et de Himmler, Keitel, Jodl, Koller, chef de l’état-major de la Luftwaffe, et les principaux officiers de leurs états-majors se trouvaient hors de Berlin ; il ne restait plus que des officiers de liaison de rang subalterne. Le rapport avait changé lui aussi : du dehors ne parvenaient que des nouvelles confuses ; le chef de l’état-major général ne pouvait pas dire grand-chose de plus que de faire état de suppositions. La carte qu’il étendit sous les yeux de Hitler ne recouvrait plus que les alentours immédiats de Berlin et de Potsdam. Mais même pour ce territoire, les indications concernant la progression des troupes soviétiques ne concordaient pas avec ce que j’avais vu quelques heures auparavant sur la carte des combats à l’état-major de la chasse. Les troupes soviétiques étaient beaucoup plus proches que ne l’indiquait la carte. A mon grand étonnement, Hitler essaya, pendant la conférence, de faire à nouveau preuve d’optimisme, bien que juste avant il m’eût parlé de sa mort imminente et de ses dispositions mortuaires. Il est vrai qu’il avait beaucoup perdu de sa force de conviction de jadis. Krebs l’écoutait patiemment et poliment. Autrefois, j’avais souvent pensé que Hitler était prisonnier de convictions figées quand, dans des situations désespérées, il jurait sans hésiter un instant qu’il s’en sortirait ; maintenant, il était clair qu’il avait deux langages. Depuis combien de temps nous trompait-il ainsi ? Depuis quand savait-il que le combat était perdu ? Depuis l’hiver moscovite, depuis Stalingrad, depuis l’invasion, après l’échec de la contre-offensive des Ardennes en 1944 ? Où commençait la dissimulation, où le calcul ? Mais peut-être n’avais-je assisté là qu’à un de ces brusques changements d’humeur et peut-être était-il aussi sincère envers le général Krebs qu’envers moi tout à l’heure.
La conférence d’état-major, qui d’habitude durait des heures, fut vite finie, montrant concrètement l’agonie dans laquelle se débattait ce reste de quartier général. Ce jour-là, Hitler renonça même à se perdre dans le rêve d’un miracle qu’accomplirait pour lui la Providence. Il nous congédia rapidement et nous quittâmes la pièce qui avait vu se dérouler le plus sombre chapitre d’une histoire pleine d’errements, de fautes et de crimes. Comme si je n’étais pas venu à Berlin spécialement pour lui, Hitler m’avait traité comme un de ces visiteurs qu’il voyait tous les jours, ne me demandant même pas si je voulais rester plus longtemps ou prendre congé. Nous nous séparâmes sans nous serrer la main, comme à l’habitude, comme si nous devions nous revoir le lendemain. Dehors je tombai sur Goebbels qui me dit : « Hier, le Führer a pris une décision qui aura une importance capitale dans l’histoire du monde. Il a fait cesser les combats sur le front Ouest, permettant ainsi aux troupes occidentales d’arriver sans encombre à Berlin. » C’était encore un de ces fantasmes qui, à cette époque-là, frappaient les esprits comme un éclair, y créant de nouveaux espoirs pour, tout aussitôt, laisser place à d’autres fantasmes. Goebbels me raconta que lui, sa femme et ses six enfants étaient maintenant les hôtes de Hitler dans le bunker, cet « endroit historique », comme il le nommait lui-même, où ils finiraient tous leurs jours. Au contraire de Hitler, il dit cela avec un parfait contrôle de soi et rien dans son comportement ne trahissait qu’il était arrivé à la fin de sa vie.
C’était la fin de l’après-midi ; un médecin SS m’annonça que M me Goebbels gardait la chambre, très faible et souffrant de malaises cardiaques. Je lui fis demander si elle voulait bien me recevoir. J’aurais aimé lui parler seul à seul, mais Goebbels m’attendait dans le vestibule pour me conduire à sa chambre dans le bunker où je la trouvai allongée sur un simple lit. Elle était pâle et ne prononça que quelques paroles insignifiantes, bien qu’on pût sentir qu’elle souffrait à la pensée que l’heure où ses enfants mourraient de mort violente se rapprochait inéluctablement. Goebbels ne me quitta pas un seul instant. Aussi notre conversation porta-t-elle uniquement sur son état. C’est seulement vers la fin qu’une de ses phrases montra clairement ce qui la tourmentait : « Comme je suis heureuse qu’au moins Harald (son fils d’un premier mariage) soit
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