Au Coeur Du Troisième Reich
encore vivant. » Moi aussi, j’étais comme paralysé et ne trouvais presque rien à dire, mais que pouvait-on dire dans une situation pareille ? Nous prîmes congé dans un silence gêné. Son mari ne nous avait même pas accordé quelques minutes d’adieu.
Pendant ce temps, une agitation se fit dans le vestibule. Un télégramme de Göring venait d’arriver que Bormann s’empressa d’aller porter à Hitler. Poussé par la curiosité, je lui emboîtai le pas, sans façon. Göring demandait simplement à Hitler s’il devait, conformément au règlement de succession, assumer la totalité de la direction du Reich dans le cas où Hitler resterait dans sa citadelle de Berlin. Mais Bormann accusa aussitôt Göring d’avoir fomenté un coup d’État, c’était là peut-être sa dernière tentative pour suggérer à Hitler de se rendre à Berchtesgaden, afin d’y remettre de l’ordre. Cependant Hitler réagit d’abord à cette nouvelle avec la même apathie qu’il avait montrée toute la journée. Mais les efforts de Bormann reçurent un nouveau soutien quand on apporta un second radiogramme de Göring : j’en empochai une copie qui, dans le désordre général de l’heure, traînait quelque part dans le bunker. On pouvait y lire : « Affaire importante ! A transmettre par officiers seulement ! Radiogramme n° 1899. Robinson à Prince Électeur, le 23-4, 17 h 59. Au ministre du Reich von Ribbentrop. J’ai prié le Führer de me donner des instructions jusqu’au 23-4 à 22 heures. Dans le cas, où à cette date et à cette heure, il serait patent que le Führer a perdu sa liberté d’action dans la direction des affairesdu Reich, son décret du 29-6-1941 entrera en vigueur. Dès ce moment, je remplirai, comme l’indique le décret, toutes ses fonctions en ses lieu et place. Si, jusqu’à 24 heures le 23-4-45, vous ne recevez rien du Führer ou directement ou par mon intermédiaire, je vous prie de venir me rejoindre immédiatement par la voie des airs. Signé : G öring , Reichsmarschall. » Bormann crut voir là un nouvel argument. « C’est une trahison, s’écria-t-il, il envoie déjà des télégrammes aux membres du gouvernement pour leur communiquer qu’il va, mon Führer, prendre vos fonctions cette nuit à vingt-quatre heures. »
Si Hitler avait réagi avec calme au reçu du premier télégramme, Bormann avait maintenant partie gagnée. Son vieux rival, Göring, se vit, dans un télégramme que Bormann rédigea lui-même, déchu de tous droits à la succession et accusé de trahison envers Hitler et le national-socialisme. En outre, Hitler fit savoir à Göring qu’il renoncerait à prendre d’autres mesures s’il se démettait de toutes ses fonctions pour des raisons de santé. Bormann avait ainsi enfin réussi à sortir Hitler de sa léthargie. Il s’ensuivit une explosion de rage incontrôlée où au sentiment d’impuissance se mêlaient amertume, apitoiement sur soi-même et désespoir. Le visage rouge et les yeux hagards, Hitler semblait avoir oublié son entourage. « Je sais que Göring est pourri. Je le sais depuis longtemps, répétait-il. Il a dépravé la Luftwaffe. Il était corrompu. C’est son exemple qui a permis à la corruption de s’installer dans notre État. En plus, voilà des années qu’il se droguait à la morphine. Je le sais depuis longtemps. » Ainsi Hitler savait tout et, malgré cela, il n’avait rien entrepris. Brutalement, par un revirement stupéfiant, il retomba dans son apathie. « Et puis après tout, Göring peut bien négocier la capitulation. Si la guerre est perdue, peu importe qui mène ces pourparlers. » Son mépris pour le peuple allemand s’exprimait bien là : Göring serait toujours assez bon pour ça. Hitler semblait à bout de forces ; il avait repris exactement le même ton fatigué si significatif de son état ce jour-là. Des années durant il s’était surmené, des années durant il avait, en mobilisant toute son immense volonté, repoussé loin de lui et des autres la certitude croissante de ce dénouement. Maintenant il n’avait plus l’énergie nécessaire pour cacher son état. Maintenant, il abandonnait.
Environ une demi-heure plus tard, Bormann apportait la réponse de Göring : celui-ci se démettait de toutes ses fonctions à cause d’une grave maladie de cœur. Comme il l’avait fait si souvent, Hitler venait de se débarrasser d’un collaborateur gênant sous le prétexte d’une maladie
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