Au Coeur Du Troisième Reich
pour ne pas avoir à le révoquer et diminuer ainsi la foi qu’avait le peuple allemand en ses dirigeants et en leur unité. Hitler restait donc fidèle à ce principe, tenant compte des répercussions possibles, même maintenant que tout était presque fini.
Et c’est maintenant seulement, au dernier moment, que Bormann avait atteint son but : éliminer Göring. Il est possible qu’il ait été convaincu de l’incompétence de Göring. Mais c’est en fait parce que celui-ci détenait trop de pouvoirs en ses seules mains qu’il l’avait tant haï et finalement renversé. En un certain sens, ; j’éprouvai à ce moment-là une certaine pitié pour Göring, me souvenant de la conversation où il m’avait assuré de sa fidélité envers Hitler.
Le bref orage que Bormann avait si bien mis en scène était passé, les quelques mesures du Crépuscule des dieux s’étaient tues, le traître ou prétendu tel avait quitté le plateau. A mon grand étonnement, Hitler satisfit à une requête que je ne lui présentai d’abord qu’avec une certaine hésitation. Quelques directeurs tchèques des usines Skoda s’attendaient, ayant collaboré avec nous, à avoir des ennuis avec les Russes et ils n’avaient vraisemblablement pas tort. En revanche, ils espéraient, vu leurs anciennes relations avec l’industrie américaine, être mieux traités au quartier général U.S. s’ils pouvaient le rejoindre en avion. Quelques jours auparavant, Hitler aurait nettement refusé une telle prétention mais, maintenant, il était prêt à signer un acte donnant ordre de régler toutes les formalités.
Alors que j’étais en train de discuter de cette affaire avec Hitler, Bormann lui rappela que Ribbentrop attendait toujours d’être reçu en audience. Hitler réagit avec nervosité : « Je vous ai déjà dit plusieurs fois que je ne désire pas lui parler. » Pour une raison quelconque, cette entrevue avec Ribbentrop ennuyait Hitler. Mais Bormann tint bon. « Ribbentrop, reprit-il, a déclaré qu’il ne bougerait pas de devant votre porte, qu’il y attendrait comme un chien fidèle que vous l’appeliez. » Cette comparaison fléchit Hitler. Il fit appeler Ribbentrop. Ils restèrent seuls pour parler. Apparemment, Hitler lui fit part du projet d’évacuation par avion des directeurs tchèques. Or, même dans cette situation désespérée, le ministre des Affaires étrangères lutta pour faire respecter sa compétence. M’abordant dans le couloir, il me déclara en maugréant : « Cette affaire est du ressort du ministère des Affaires étrangères », puis il ajouta sur un ton plus affable : « Mais cette fois, je n’ai rien à redire à ce décret, à condition que vous ajoutiez "sur proposition du ministre des Affaires étrangères du Reich". » Je complétai le décret, Ribbentrop en fut satisfait, Hitler le signa. Pour autant que je sache, ce fut là le dernier acte officiel passé entre Hitler et son ministre des Affaires étrangères.
Dans l’intervalle, Lüschen, qui, tous ces derniers mois, m’avait aidé et conseillé avec un soin paternel, était arrivé à la Chancellerie. Mais tous mes efforts pour le persuader de quitter Berlin restèrent vains. Nous nous dîmes adieu ; j’appris plus tard à Nuremberg qu’il s’était suicidé après la chute de Berlin.
Vers minuit, Eva Braun envoya un domestique SS pour me prier de venir la rejoindre dans une petite pièce du bunker, en même temps chambre à coucher et salle de séjour. Elle l’avait aménagée avec goût, utilisant les beaux meubles que j’avais dessinés des années auparavant pour ses deux pièces de l’appartement de la Chancellerie. Ni les proportions ni le bois que j’avais choisis n’allaient avec l’aspect sinistre du cadre. Mais lecomble, c’était qu’une des marqueteries des portes de la commode portait un trèfle porte-bonheur stylisé représentant ses initiales.
Nous pûmes nous entretenir dans le calme, car Hitler s’était retiré. En fait, elle était dans ce bunker la seule de toutes les personnalités promises à la mort à montrer un calme souverain forçant l’admiration. Alors que tous les autres étaient soit pris d’une exaltation héroïque comme Goebbels, soit préoccupés de leur seule survie comme Bormann, soit éteints comme Hitler, soit brisés comme M me Goebbels, elle montrait, elle, une sérénité presque joyeuse. « Que diriez-vous, me demanda-t-elle, d’une bouteille de Champagne
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