Au Fond Des Ténèbres
avais dit que non, qu’il allait au Revier – la salle des malades. Quoi qu’il en soit, quand nous avons été poussés nous-mêmes à l’intérieur, Hansbert, cet ami, était encore en train de brûler dans la fosse. Et ils ont commencé à nous tirer dessus. Le premier, puis le suivant, le troisième, le quatrième – j’étais le cinquième et dernier et à ce moment-là, j’étais couché sur les autres [il avait dû tomber en avant] attendant d’être abattu, je me suis retourné, j’ai levé les yeux et j’ai dit : “Allez-y, pourquoi vous ne le faites pas. Tirez pour l’amour du ciel.” Et alors, qui était-ce… je crois que c’est Miete qui est arrivé… qui m’a dit de me lever et de me rhabiller. Bah, c’est qu’ils devaient m’aimer, autrement ils m’auraient tué aussi. » [Il est probable que c’est Miete qui l’avait désigné pour le travail, à l’origine, auquel cas alors il considérait qu’il était en quelque sorte son protégé.]
6
Dans notre groupe, a dit Richard Glazar, on partageait tout ; et quand quelqu’un mangeait sans partager, nous savions que c’était le commencement de la fin pour lui. La nourriture tenait la plus grande place dans nos esprits ; pendant longtemps, manger a été une fin en soi ; nous avions de la soupe dans des assiettes en fer blanc, à midi, du pain et du café. Tant qu’il y a eu des convois venant de l’Ouest, la nourriture était si abondante que nous jetions la soupe et le pain. Il a fini par y avoir une énorme montagne de ce pain moisi [cela confirme les dires de Suchomel à ce sujet mais c’est en contradiction avec l’histoire de Stangl], Nous buvions seulement le café. Non, ça leur était égal que nous prenions de la nourriture dans les convois [vraisemblablement aussi longtemps qu’ils ne l’ont pas su]. Il y en avait tellement vous savez. Bien sûr, les SS et les Ukrainiens choisissaient les premiers, mais il y en avait tellement, tellement. Nous en volions et nous en achetions aussi. Les Ukrainiens se servaient très largement et nous en revendaient pour de l’or, des dollars américains ou des bijoux. Ils n’avaient aucune possibilité d’accéder aux objets de valeur – ils surveillaient le travail au-dehors et le camp lui-même, mais le travail des ateliers était fait par les Juifs et surveillé par les SS. Les gens qui avaient affaire directement aux millions en monnaie et en pierres précieuses étaient appelés “les Juifs-or”. Le SS Suchomel les surveillait ; il s’occupait de ce secteur et de l’atelier du tailleur. »
Pour un SS, recevoir plusieurs affectations était une preuve d’efficacité. « C’est Wirth, dit Suchomel, qui à l’origine m’a nommé chef des Juifs-or, ce n’est pas Stangl. Mais Stangl était très vigilant sur les valeurs. Je me souviens du jour où Eichmann est venu… » Pour quelque raison difficile à pénétrer, quand j’ai questionné Stangl à ce sujet il a toujours nié que Himmler ou Eichmann soient venus visiter un camp qu’il commandait. « Ah ! là il a menti, a dit Suchomel. C’est certainement Eichmann qui est venu de Berlin ce jour-là avec un groupe de SS. Il me l’a dit lui-même ; il m’a dit qu’Eichmann et Globocnik allaient venir et qu’il fallait tout mettre en ordre, d’abord l’atelier du tailleur et ensuite passer en revue le local des “Juifs-or” et tout vérifier. “Inscris sur tous les coffres et les caisses leur contenu avec sa description, m’a-t-il dit. Il vient pour voir si tout se passe correctement. Quand ils seront là, tu viendras nous trouver et tu feras ton rapport au garde-à-vous.”
« Bien sûr, a-t-il dit, on avait aussi la possibilité d’aider quelquefois. Un matin, un des jeunes Polonais qui travaillait sous mes ordres est arrivé, tout affolé. Il m’a dit : “Chef, s’il vous plaît, aidez-moi. Ma sœur Broncha vient d’arriver ; elle est déjà dans la baraque de déshabillage… je vous en supplie, sauvez-la.” J’y ai été et j’ai demandé qui était Broncha. Elle était là, nue, tremblant de la tête aux pieds et pleurant. Je lui ai dit : “Arrête de trembler. Tu es couturière, n’est-ce pas ? “Et elle, vous ne le croirez pas – me répond tremblante : “Non je ne sais pas coudre.” Je lui ai répliqué : “Ne sois pas idiote. Tu es couturière ; rappelle-toi ça et je te sors de là.” Puis j’ai dit au Kommando de baraque de la mettre à part, de ne pas
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