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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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nous ne savions rien de certain mais nous avions une idée de ce que c’était ; » on était en juillet 1942 au tout début du camp.] J’ai vu des hommes mariés depuis trente-quatre ans, demander le divorce. Ma femme – comme je vous l’ai dit, il n’était pas question d’amour entre nous – m’a dit alors : « De toute façon, je suis bonne pour faire du savon… alors, demande le divorce et sauve-toi. « Mais j’ai pensé de mon côté : « Je n’ai pas de famille, il ne me reste personne. Elle n’a personne. On restera ensemble. « Et nous sommes partis tous les deux.
    « Dès notre arrivé à Treblinka, j’ai été sélectionné pour le travail. Ils m’appelaient Langer [le grand] à cause de ma taille. J’ai dit au SS qui m’avait choisi qu’elle était ma femme, est-ce qu’elle pouvait travailler aussi ? Et lui – je ne peux me rappeler lequel c’était, Miele ou Küttner – m’a répondu : “T’en fais pas, elle va travailler à la buanderie du Camp II.” Mais bien sûr ce n’était pas vrai. Ils l’ont tuée tout de suite. Je ne l’ai jamais revue.
    « On m’a d’abord mis au commando rouge – nous devions surveiller le déshabillage dans les vestiaires. Nous devions répéter [il l’a crié pour moi, pour me montrer] : “Déshabillez-vous, attachez vos chaussures ensemble, prenez vos papiers et votre argent.” Voilà comme on bernait les gens. Ils croyaient aller à la douche et à la désinfection et pensaient qu’on leur permettait de garder leurs objets précieux et leurs papiers pour leur sécurité. Ça les rassurait. Certains Juifs allemands – vous savez ils étaient plus allemands que les Allemands – étaient très autoritaires, ils faisaient les seigneurs ». « Jetez un coup d’œil sur mes chaussures, voulez-vous, jusqu’à ce que je revienne », disaient-ils avec condescendance à nous autres du commando rouge. Naturellement dix minutes après ils étaient morts.
    « Plus tard j’ai été affecté à la chambre de désinfection, sans doute un des pires lieux ; elle était située entre les coiffeurs qui coupaient les chevelures des femmes et le “couloir” qui conduisait aux chambres à gaz. Il fallait désinfecter les cheveux, tout de suite, avant de les emballer pour les expédier en Allemagne. Ils servaient à faire des matelas.
    « Stangl ? Je ne l’ai jamais vu tuer ou frapper personne. Mais pourquoi l’aurait-il fait ? Il n’avait pas à le faire. Ce n’était pas un sadique comme d’autres, et c’était le commandant. Pourquoi se serait-il sali les mains ? C’est comme moi maintenant, dans mon travail ; quand j’ai quelqu’un à vider, je ne le fais pas moi-même. Pourquoi le ferais-je ? Je charge quelqu’un de lui dire qu’il est renvoyé. Pourquoi ferais-je moi-même cette sale besogne ? Stangl n’a jamais battu personne non plus, pourquoi l’aurait-il fait ? Oh ! il était présent bien sûr… bon » – il s’est repris comme presque chaque fois qu’il signalait la présence de Stangl ou sa participation à quelque chose – « Il devait être là ; ils étaient tous là. Et il était le commandant. Je vous raconte exactement comment c’était. J’y ai été pendant un an et je sais. Celui qui vous raconte autre chose, celui qui vous dit que Stangl a battu ou tué quelqu’un, ou que Stangl leur a parlé – ils mentent. Il ne parlait pas aux Juifs – pourquoi l’aurait-il fait ?
    « Est-ce que j’avais des amis ? Oui, sûr, j’avais des amis. Bon, j’avais des amis. Mais comment pouvait-on avoir des amis là-bas ? Je n’ai jamais fait de tort à personne. Je me tenais à part, ça valait mieux. Mais ils m’aimaient bien – les autres. Pour mon anniversaire, je me souviens, j’allais faire une petite fête et je me suis entendu avec un Ukrainien pour acheter un peu de jambon. Et les Allemands l’ont trouvé. Ils nous ont alignés et ils ont demandé à qui c’était… personne n’a bronché… et puis un de mes copains a dit que c’était à lui. Aussitôt j’ai dit : “Non, c’est à moi”. Ils nous ont tous emmenés au Lazarett [68]  et ils nous ont dit de nous déshabiller.
    « Peu de temps avant, nous y avions emmené un de mes amis qui était très malade – pour être tué ; personne n’y allait pour une autre raison. Mais quand nous l’avions transporté sur la civière, il m’avait demandé si nous ne l’emmenions pas au Lazarett et je lui

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