Au Fond Des Ténèbres
fille réellement intelligente et distinguée, très fière et courageuse. Elle faisait partie des rares Juifs auxquels nous tous les Allemands, nous disions” « Sie” (vous) au lieu de “Du” (tu). Steiner [Jean-François Steiner, auteur du livre controversé Treblinka ] dit qu’elle couchait avec les Allemands. Mais jamais elle n’a fait ça. Elle était l’amie du Kapo Rakowski – le chef juif du camp – et elle est tombée enceinte de lui et elle a avorté. Tchechia était la fille d’un industriel de Galicie – elle était très bien élevée. J’ai su plus tard comment elle était morte ; je ne l’ai pas vu moi-même, c’est arrivé après mon départ de Treblinka, un certain temps après la révolte ; il ne restait plus que quelques filles pour servir le reste du personnel allemand qui liquidait le camp. Le sous-officier ( Unterschar-führer ) chargé de l’opération, s’est levé de table, ce jour-là et aurait dit aux trois filles : « Eh bien, les filles, c’est votre tour « [Jetzt muss es ja einmal dran’gehen [70] ] Et Tchechia s’est mise à rire et a dit : “Ha ! Ha ! Je n’ai jamais cru à vos promesses de contes de fées, sales cochons. Allez, tuez-nous. Seulement, faites-moi le plaisir de ne pas nous demander, à nous, de nous déshabiller.” Une des filles qui s’appelait aussi Tchechia – on l’appelait “la petite Tchechia” – pleurait et Tchechia lui a dit : “Ne pleure pas, ne leur donne pas ce plaisir. Souviens-toi, que tu es juive.” Elle avait réellement quelque chose, c’était quelqu’un, vous savez. » [L’attitude admirative affichée par Suchomel à l’égard des Juifs est aussi remarquable que sa mémoire et présente un certain intérêt psychologique.]
« Des évasions, a dit Richard Glazar, oui, il y en a eu quelques-unes, trois ont réussi, je crois, toutes durant la deuxième phase ; après ce fut impossible. »
Il devait me raconter plus tard que deux jeunes hommes « ils avaient vingt-quatre et vingt-cinq ans je pense », s’étaient évadés du camp dans le tout premier train qui était reparti de Treblinka avec des vêtements des victimes et d’autres biens. « C’était les deux derniers jours d’octobre ou le premier de novembre. Nous les avons aidés à se cacher ; ce fut organisé avec beaucoup de soin pour faire passer des nouvelles à Varsovie.
« À la fin de novembre ou au début de décembre, sept hommes du Kommando bleu ont essayé, mais ils ont été rattrapés. Kurt Franz les a abattus au Lazarett, puis il a fait un appel spécial et nous a dit que si quelqu’un d’autre essayait et surtout s’il réussissait, pour chaque évadé dix d’entre nous seraient exécutés. »
« J’aurais fermé les yeux si l’un d’eux s’était évadé », a dit plus tard l’infirmier SS Otto Horn ; il avait la charge des « grills » du camp d’en haut et il a été décrit généralement comme « inoffensif » ; il a été acquitté au procès de Treblinka. « Je me suis étonné parfois qu’ils ne le fassent pas. Un jour Matthes (qui dirigeait le camp d’en haut) m’a envoyé avec un détachement surveiller une corvée de branchages : six hommes et un garde ukrainien. Pas plus tôt hors du camp l’Ukrainien a fichu le camp ; ils fourrageaient toujours dans le village pour avoir de la nourriture et de la boisson. Il ne passait pas un seul jour sans qu’ils reviennent avec des poulets rôtis, du slivovitz, etc. Bref, j’étais là avec les six hommes. J’ai pensé en moi-même : “C’est leur chance. Tout ce qu’ils ont à faire c’est de se tirer.” Je n’aurais rien pu faire et comme je l’ai dit j’aurais fermé les yeux. Non je crois qu’il ne me serait rien arrivé. Ça n’aurait pas été de ma faute. Ils cherchaient des branches à travers tout le bois ; c’est pour ça qu’ils étaient là et j’étais seul avec eux et ils étaient hors de ma vue pendant de longs moments. Comment est-ce que j’aurais pu les avoir tous à l’œil ? C’était impossible. Mais à la fin, ils sont tous revenus. » Il a secoué la tête. « Je n’ai pas compris. »
Et Suchomel a dit : « Quelques jours avant la révolte, j’ai conseillé à Mazarck et à Glazar de s’évader, mais je leur ai recommandé de le faire par petits groupes. Ils m’ont répondu qu’ils ne pouvaient pas faire ça, car s’ils le faisaient, il y aurait de terribles représailles. C’est quelque
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