Au Fond Des Ténèbres

Varsovie, d’autres venus de ghettos russes et polonais que l’on débarrassait des résidus de leur population, au moment où les Allemands commençaient la longue retraite de Stalingrad. D’autres venaient de Hollande, de Vienne et même d’Allemagne.
    La menace de « mesures pratiques » formulée par les Alliés, dans la déclaration commune du 17 décembre 1942, avait fini par signifier, au fur et à mesure que le temps passait, non pas un projet de sauvetage mais la poursuite de la guerre jusqu’à la victoire des Alliés. Les gouvernements anglais et américain étaient persuadés que c’était la seule issue véritable au drame des Juifs en Europe. Rétrospectivement, en effet, on peut considérer que l’ampleur des événements semblait à cette époque défier toute solution sur une grande échelle ; pourtant on ne peut pas ne pas penser que quelque chose aurait pu être fait si on l’avait voulu partout et jusqu’au plus haut niveau.
    En Amérique, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Suède, dans certains pays d’Amérique latine, des individus et certains journaux faisaient de leur mieux pour influencer ou inspirer leurs gouvernements afin qu’ils agissent ; mais, pour des raisons qui n’entrent pas dans le cadre de ce livre, ils furent incapables d’insuffler une volonté générale assez puissante.
    Prenons d’abord quelques cas précis où cette volonté a existé. Au début de 1943, quand les Allemands ordonnèrent que les 25 000 Juifs de Sofia soient déportés en Pologne, un homme – Monseigneur Angelo Roncalli, délégué apostolique en Turquie, plus tard pape sous le nom de Jean XXIII – a agi, sans se soucier de l’opportunité politique ni de ce que pourraient faire les nazis. « Quand M gr  Roncalli se fut renseigné sur cette affaire, a dit Luigi Brescani, un de ses secrétaires particuliers, il a immédiatement écrit une lettre personnelle au roi Boris. Je n’avais jamais vu M gr  Roncalli aussi bouleversé. Avant que je porte cette missive à une personne susceptible de la remettre en main propre au roi, M gr  Roncalli me l’a lue. Il avait beau être aussi calme et doux que saint François de Sales ressuscité, il ne s’était pas privé de dire que le roi Boris ne devait en aucune façon donner son accord à une action aussi déshonorante… le menaçant entre autres choses du châtiment de Dieu [74] . »
    Nous savons par Richard Glazar que 24 000 Bulgares – ceux qui avaient été à Salonique – devaient mourir à Treblinka au printemps de 1943 ; mais on ne peut guère mettre en doute que les 25 000 Juifs de Sofia aient été sauvés par l’intervention du futur pape et le courage d’un roi.
    Il y a ensuite l’action entreprise par la résistance danoise ; avec l’accord officiel du ministre suédois des Affaires étrangères Christian Günther, ses membres escamotèrent 7 000 personnes (les 7/8°des Juifs du pays) pour les faire passer en Suède où ils ont pu vivre en sûreté jusqu’à la fin de la guerre. Durant cette période, la Suède avait également admis environ 35 000 réfugiés juifs ; et, après la guerre, le gouvernement suédois a renoncé au remboursement du prêt de 30 millions de couronnes qu’il avait consenti au Danemark et à la Norvège pour l’entretien de leurs concitoyens juifs en Suède.
    Plus tard, en 1944, d’autres succès furent enregistrés. Ira Hirschmann, affecté par le président Roosevelt au bureau des Réfugiés de guerre (créé finalement en janvier 1944), arriva à persuader les Roumains que la guerre était perdue et qu’il était de leur intérêt d’empêcher les Allemands de tuer les 185 000 Juifs roumains rescapés. En mars 48 000 personnes retournèrent chez elles.
    Et en juin 1944, après la déportation de centaines de milliers de personnes de Hongrie, il y eut l’action de l’héroïque suédois, Raoul Wallenberg, arrivé à Budapest avec des piles de passeports appelés « passeports suédois de protection ». Il les délivrait à qui pouvait faire état d’un semblant de relations familiales ou commerciales avec des Suédois. Bien plus, il a su persuader les autorités hongroises de lui louer à Budapest des locaux qui furent alors sous la protection de l’ambassade suédoise et où ces gens étaient logés. Ce programme d’urgence passe pour avoir sauvé quelque dix mille personnes (à ce moment-là, bien sûr, la situation avait changé quelque peu du fait que Himmler,