Au Fond Des Ténèbres

conscient que la guerre était perdue, avait commencé à coopérer avec certaines agences juives). En plus des rescapés, dus à l’initiative de Wallenberg, et d’autres qui furent cachés par des compatriotes non juifs, souvent en connivence avec les officiels allemands, plus de 20 000 ont été emmenés hors de Hongrie, certains envoyés dans un camp « vivable » à Vienne et quelques-uns en Suisse.
    Mais pour 1942-1943, les chiffres sont éloquents. Il était presque impossible de s’échapper d’Europe, et impossible en tout cas de l’Europe orientale. L’espoir des Juifs, qu’ils fussent de l’Est ou de l’Ouest, se concentrait principalement sur l’Amérique – havre traditionnel des opprimés – et sur la Grande-Bretagne à cause de la Palestine. Mais même si ces pays avaient ouvert leurs frontières – et malgré les réclamations de beaucoup de libéraux dans les deux pays, aucun des deux gouvernements n’envisagea cette mesure, le premier mouvement d’un réfugié devait être de tenter de s’évader vers les pays neutres : Espagne, Portugal, Suède ou Suisse.
    En novembre 1942, la radio suisse annonça que 14 000 réfugiés avaient réussi à atteindre la Suisse [75] . En août 1942, le gouvernement suisse avait invoqué une loi d’urgence votée en octobre 1939, selon laquelle quiconque traversait la frontière illégalement devait être expulsé. « Près de 100 000 personnes, a dit le conseiller von Steiger, ministre de la Justice à cette époque, essayèrent de s’échapper de France en Suisse, quelquefois cent en un seul jour. Le droit d’asile traditionnel, a-t-il dit, n’est pas un droit au sens juridique. L’entrée en masse des réfugiés représentait un danger pour la sécurité de l’État. » À quoi un pasteur de Bâle a répliqué : « Si les gens qui implorent l’asile étaient des opprimés politiques, des prisonniers de guerre ou des déserteurs, cela devrait et pourrait s’arranger. C’est le fait qu’ils soient juifs qui les empêche de bénéficier de l’asile traditionnel de notre pays. »
    De 1939 à 1941,30 000 Juifs européens gagnèrent les U.S.A. par l’Italie, l’Espagne, le Portugal. En 1940,4 400 Juifs polonais s’évadèrent de Lithuanie vers le Japon, les États-Unis et – quelques centaines d’entre eux – la Palestine. Entre 1940 et 1944, de 31 000 à 41 000 Juifs ont pu fuir de France en Espagne et au Portugal. En 1942, un petit nombre de Juifs polonais parvinrent à quitter l’U.R.S.S. avec l’armée polonaise Anders, y compris 850 enfants, la plupart orphelins. Ces enfants furent recueillis en Palestine en 1943.
    En mai 1939, l’Acte du Parlement anglais sur la Palestine [76] avait réduit l’immigration juive à 75 000 personnes pour les cinq années à venir. De septembre 1939 au printemps de 1941, environ 12 000 personnes furent en fait introduites en fraude. L’immigration vers la Palestine fin 1942 et en 1943 fut limitée à 350 Juifs d’Europe. Un des plus sombres souvenirs pour beaucoup de ceux qui en Angleterre luttaient en faveur des Juifs, a été le refus du gouvernement en janvier 1942 d’admettre en Palestine 769 réfugiés dépourvus de permis d’immigration britanniques et venus de Roumanie par le cargo Struma. Ce bateau, qui n’était pas en état de naviguer, fut remorqué en pleine mer par les Turcs le 24 février et il coula avec tout son chargement : 70 enfants, 269 femmes et 428 hommes.
    Le 19 avril 1943 commença aux Bermudes la conférence anglo-américaine sur les réfugiés. Elle se termina le 30 avril et dans un mémorandum à Cordell Hull, Myron Taylor l’a qualifiée « d’aussi totalement inefficace que nous l’avions prévu ». Le 19 mai un débat aux Communes sur les problèmes des réfugiés mit au jour d’une part le désespoir des individus concernés et d’autre part la position prise par le gouvernement.
    Eleanor F. Rathbone, député des universités anglaises au Parlement, qui venait d’écrire peu auparavant un pamphlet émouvant intitulé Sauvez ceux qui vont mourir, défendit passionnément un programme de mesures de secours immédiates en douze points. Il comprenait la fourniture de séries de visas non nominatifs aux consuls britanniques dans les pays neutres européens ; l’offre de garanties et d’aide financière aux pays neutres pour les encourager à admettre un plus grand nombre de réfugiés ; des facilités de transport ;