Au Fond Des Ténèbres
l’extermination du peuple juif. »
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« Durant ce mois d’avril 1943, dit Richard Glazar, la préoccupation essentielle des SS était que le camp continue à tourner et de nous y garder occupés afin de justifier leur propre situation sur place. C’est à ce moment, alors que les convois n’arrivaient presque plus, que Stangl donna des ordres pour que soit construite la “rue”, que de nouvelles barrières soient dressées, la forêt éclaircie, un zoo installé et que la fameuse gare soit maquillée pour avoir l’air tout à fait authentique ; avec une fausse horloge et chaque élément peint de belles couleurs brillantes et criardes ; des fleurs tout autour du poste à essence ; des bancs de bois parsemant le jardin comme dans une luxueuse ville d’eaux – ce n’était pas croyable. Et durant toutes ces semaines, les préparatifs de la révolte ont continué, l’organisation militaire était solidement tenue à présent par Rudi Masarek. Dans le courant de ce mois, il y a eu l’histoire du Dr. Choronzycki, figure très populaire ; sa mort fut un nouveau coup… Mais il y avait d’autres médecins. »
C’est aussi ce printemps-là que fut élaborée une nouvelle méthode d’incinération des morts. Deux énormes râteliers d’acier furent construits (le second ne le fut que lorsque le premier eut fait ses preuves). « Ils nous ont fait sortir dans la campagne pour ramasser les rails hors d’usage », a précisé Glazar. Ces râteliers appelés « les grills » portaient chacun plusieurs centaines de corps empilés ; à partir de ce moment-là ils ont été utilisés non seulement pour les nouveaux convois mais aussi pour brûler des milliers de cadavres en partie décomposés, déterrés par les excavateurs et qui étaient, les uns jetés sur les grills par la machine, les autres transportés au pas de course sur des brancards par deux hommes. « Il fallait toujours courir », dit un des rares survivants de cette partie du camp de la mort, quand il a témoigné en Allemagne (et en Pologne) « et nous devions veiller à ne jamais transporter un corps d’adulte tout seul, mais toujours ajouter deux enfants – autrement nous aurions eu l’air de tricher. »
Dans le camp du haut – le camp de la mort – il n’y avait pas de billot de fouet ni d’appel, mais il n’y avait aucune possibilité non plus de soustraire de la nourriture pour compléter les rations et la moindre infraction au règlement entraînait la mort sur-le-champ. Et le règlement devenait de plus en plus implacable à mesure que les SS, devant l’inexorable avance des Russes, désespéraient de plus en plus de pouvoir cacher les preuves du massacre.
« En mai, dit Richard Glazar, Karel et moi avons été transférés dans une section spéciale de “camouflage” : notre travail consistait à apporter de la forêt des masses de branchages pour camoufler les nouvelles barrières. Notre chef d’équipe était Heinrich Kleinmann, ancien fonctionnaire tchèque – un homme à lunettes, tranquille, poli – curieusement choisi pour diriger notre petite bande coriace de durs à cuire.
« On nous appelait “les contrebandiers”, parce que étant les seuls autorisés à sortir du camp, nous usions largement de toutes les occasions pour faire entrer des choses « en contrebande ». Les semaines passant et les convois étant devenus une rareté, il importait de plus en plus de fournir de la nourriture à ceux qui nous étaient particulièrement indispensables et dont certains étaient malades ou dangereusement affaiblis. Bien sûr, nous avions des ressources en argent presque illimitées ; les Ukrainiens nous les payions, payions, payions. Et les Polonais – eh bien, en mai 1943 le prix courant pour deux petits pains blancs, vingt grammes de saucisse et trois quarts de litre de vodka oscillait entre 10 et 20 dollars – souvent plus.
« Nous savions que Zhelo était toujours en vie parce que, un jour, à la fin du printemps, un des SS, un certain Polzinger, qui travaillait là-haut au Camp II, est venu à notre atelier demander qui étaient “Karel et Richard” et quand nous avons répondu que c’était nous, il nous a dit qu’il nous apportait un message de Zhelo : il était O.K. et est-ce que nous avions une réponse à donner. Nous avions toujours pensé que les SS du haut étaient meilleurs que les nôtres, sans doute parce qu’il leur fallait vivre après tout dans les mêmes
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