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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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Nous avons crié : « Hurrah ! Hurrah. « Ça semble incroyable aujourd’hui. Chaque fois que j’y pense, j’éprouve comme une petite mort ; mais c’est la vérité. C’est ce que nous avons fait, nous en étions là. Effectivement, le matin suivant, ils sont arrivés. Nous avions passé toute la soirée précédente dans un état d’excitation et d’attente ; cela signifiait la vie – comprenez-vous – être sauvés et vivants. Le fait que c’était la mort des autres, quels qu’ils soient, qui signifiait notre vie, n’était plus en question ; nous étions au-delà de ça, c’était un conflit dont nous avions débattu encore et encore. L’important pour nous c’était de savoir d’où ils venaient ? Seraient-ils riches ou pauvres ? Auraient-ils de la nourriture ou non ?
    « Ce matin-là, nous étions tous à attendre, partout, par là. Les SS aussi ; et pour une fois, ils ne se préoccupaient pas de savoir si nous étions au travail ou non. Tout le monde se demandait d’où viendrait le convoi, si seulement ça pouvait être d’un coin riche comme la Hollande.
    « Quand le premier train est entré en gare, nous avons regardé à travers les fentes des baraquements et quand ils sont sortis, David Bart a appelé un des commandos bleus : “D’où viennent-ils ?” et il a répondu “des Balkans”. Je les revois descendre du train et je me souviens de Hans Freund disant : “Oh ! oui, ils sont riches, vous voyez. Mais ils brûleront mal, ils sont trop gras.” C’était un convoi très, très spécial de riches Bulgares qui s’étaient réfugiés à Salonique – ils étaient 24 000. Ils avaient passé quelque temps dans un camp, ensemble ; ils étaient organisés et disciplinés et ils s’étaient munis d’une voiture supplémentaire de ravitaillement pour le long voyage. Quand le commando bleu a ouvert les portes, nous avons presque défailli à la vue des monceaux de nourriture, des milliers de boîtes de légumes, de graisse, de poisson, des pots de fruits et de confitures et des gâteaux – le sol noir de la rampe était constellé de jaune et de blanc à cause des gâteaux. Plus tard, après que les Bulgares eurent été emmenés, les Ukrainiens se sont battus avec nous pour la nourriture ; nous nous étions débrouillés pour faire tomber “accidentellement” quelques-unes des grosses caisses où étaient les pots de confitures. Elles s’étaient ouvertes ; les Ukrainiens nous ont battus avec leurs horribles fouets et le sang coulait dans la confiture. Mais ça c’était plus tard ; oh ! oui les SS ont pris grand soin de ce convoi ; si les Bulgares avaient eu la moindre idée de ce qui les attendait, ils ne seraient pas restés là, tranquillement. Il y aurait eu un bain de sang. Mais ils ne se doutaient de rien ; même à cette période-là, en mars-avril 1943 – alors qu’un million de gens avaient déjà péri à Treblinka [c’était l’estimation de Richard, et Zabecki était d’accord] et trois millions ou presque dans tous les camps d’extermination de Pologne. Ils avaient autant d’illusions que nous, les Tchèques, six mois auparavant. Ils ne savaient pas encore. L’esprit refuse de l’admettre – des centaines, des milliers de gens savaient – comment pouvaient-ils ne pas savoir ? Ils étaient magnifiques : belles femmes, adorables enfants, hommes trapus et puissants ; des types merveilleux. Il a fallu trois jours pour les tuer tous. Et dix jours pour classer leurs affaires. Imaginez, cinquante kilos par personne – c’était le poids autorisé par individu pour le “recasement” – ça faisait 720 000 kg de choses  ; la machine a fait ses preuves pendant ces dix jours d’une manière incroyable.
    « Cela, voyez-vous, le monde ne l’a jamais compris ; à quel point la machine était parfaite. C’est seulement faute de moyens de transport, à cause des besoins de guerre que les Allemands n’ont pu régler le sort de plus grandes masses. Treblinka seul aurait pu absorber six millions de Juifs et bien davantage. Avec un équipement ferroviaire convenable, les camps d’extermination allemands en Pologne auraient pu tuer tous les Polonais, tous les Russes et les autres Européens de l’Est que les Nazis avaient projeté de tuer finalement. »

10
    En avril/mai 1943, une nouvelle vague de convois a déferlé qui allait continuer jusqu’à l’été. Quelques survivants de la révolte désespérée du ghetto de

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