Au Fond Des Ténèbres
Stangl, c’était cinq mois plus tard, quand il est venu à la maison pour Noël. C’était si merveilleux de le voir et à Noël en plus. En Autriche, à la maison, avec Noël et tout ça, ce que j’avais appris en Pologne semblait complètement irréel. Je l’ai questionné sur Treblinka bien sûr, mais il m’a répondu qu’il n’était responsable que des valeurs, des constructions et de la discipline. Non, il n’a plus prétendu que ce n’était pas le même genre d’endroit que Sobibor, mais il m’a dit qu’il faisait tout ce qu’il pouvait pour en sortir. Il est resté à la maison huit ou dix jours, mais deux jours après son arrivée il m’a dit qu’il voulait aller voir Fräulein Hintersteiner [à Linz] qui avait été secrétaire à Hartheim et qui, ensuite, avait travaillé pour un dénommé Kaufmann, parti en Crimée comme chef de la police. Paul voulait lui demander de l’aider à obtenir son transfert en Crimée. Quand il est revenu, il était très content et il m’a dit que tout allait bien – tout ce qu’il avait à faire maintenant, c’était d’attendre son avis de transfert. Comme ça, nous avons eu un très bon Noël après tout : je revois encore son visage heureux et détendu. »
9
« Les choses ont beaucoup changé aux environs de la mi-janvier, a dit Richard Glazar. C’était le commencement de la phase 3 : de moins en moins de convois, moins de nourriture et bien entendu, pas de nouveaux vêtements. C’est à ce moment-là que l’on a travaillé le plus activement au projet de révolte. Et alors, tout au début de mars 1943, une catastrophe nous est tombée dessus.
« Kuttner flairait quelque chose – on ne peut pas l’expliquer autrement. Il a senti que quelque chose se préparait et avec un instinct infaillible il a cueilli la seule personne vraiment irremplaçable : Zhelo Bloch, l’expert militaire de notre comité. Le prétexte de Kuttner a été la disparition de quelques pardessus, Zhelo en était responsable. Kuttner est arrivé à nos baraques, enragé, deux hommes ont été abattus sur place, d’autres fouettés et Zhelo a été envoyé au Camp II.
« Moralement, ça a été le coup le plus terrible, on a touché le fond ; ça ne peut plus se décrire aujourd’hui. Ce n’était pas seulement, voyez-vous, qu’il était si utile pour le plan ; on l’aimait. Contrairement peut-être à certains d’entre nous, c’était vraiment un homme du peuple. Ne vous méprenez pas, je veux seulement dire que, de nous tous, il était la seule personne qui pouvait parler à n’importe qui, donner à n’importe qui confiance en soi et en ses capacités ; c’était un meneur d’hommes né, dans le meilleur sens du terme.
« La nuit de son départ a marqué la fin de notre espoir – pour longtemps. Je me rappelle très nettement cette nuit-là ; c’était la première fois, depuis tant de mois, que nous étions près de craquer, que nous nous laissions aller à notre émotion, ça aurait pu être notre fin à tous.
« Robert Altschuh a pleuré comme un enfant. Bien sûr, c’était lui le plus proche de Zhelo ; ils avaient besoin l’un de l’autre. Zhelo était indispensable à Robert parce qu’il était un actif mais Robert était tout aussi indispensable à Zhelo parce que c’était un cerveau ; ils se complétaient et se rassuraient mutuellement. Zhelo avait compté entièrement sur Robert, intellectuellement. Robert était l’auteur psychologique du plan ; c’est lui qui nous expliquait la psychologie des nazis ; lui qui nous prévenait quand il fallait mentir et quand il fallait se faire remarquer. Il avait un instinct infaillible pour discerner la bonne démarche et le moment opportun. D’un autre côté, il était physiquement fragile et Zhelo, bien sûr, très vigoureux. Privé de la force physique de Zhelo, Robert s’est effondré. Hans Freund aussi, en dépit de son intimité avec Rudi Masarek, n’arrivait pas à se remettre en quelque sorte du choc psychologique de ce départ de Zhelo. Il a fallu plusieurs semaines pour que Rudi prenne la place de meneur – durant ce temps, une grande part de l’efficacité de Hans s’était évanouie. [Il m’a écrit plus tard : « Freund et Altschuh étaient encore vivants au moment de la révolte. Mais ils sont morts probablement au cours de celle-ci [73] . »]
« Le soir du jour où Zhelo a été envoyé au Camp II, je me souviens que nous étions couchés sur nos
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