Au Fond Des Ténèbres
de Stangl à T4] il fut nommé administrateur en chef de T4. Convaincu de « collaboration psychologique » dans un récent procès d’euthanasie tenu à Francfort, il a été condamné à deux années de prison [couvertes par sa détention préventive]. Rentré aujourd’hui chez lui, il vit à Hambourg, avec sa famille. Herr Allers – et incidemment sa femme qui travailla aussi à T4 – m’ont fourni des informations sur divers détails administratifs qu’on retrouvera à leur place dans ce livre. Pour essayer de me faire comprendre son sentiment sur la légitimité de l’euthanasie, il m’a conseillé de voir Herr Albert Hartl qui, me dit-il pourrait me retracer une extraordinaire série d’événements dans lesquels il avait été impliqué.
L’histoire que m’a donc racontée Albert Hartl se rapporte à une période brève et spécifique d’une importance vitale dans l’évolution du Programme d’euthanasie : celle qui s’étend de mars 1938, quand l’Autriche, une des plus traditionnelles forteresses de l’Église catholique en Europe centrale fut envahie par Hitler, jusqu’à l’automne de 1939 où, après le début de la guerre, Hitler signe le décret secret qui permettait d’entreprendre le meurtre des handicapés physiques et mentaux.
J’ai rencontré Albert Hartl au bord du lac de Constance dans la petite ville où il enseigne l’histoire de l’art dans un collège de filles et où il habite avec sa femme, également professeur, un appartement charmant plein de tableaux modernes et de poteries anciennes. Il avait soixante-six ans. Fils et petit-fils de professeur, Albert Hartl était devenu prêtre à l’âge de vingt et un ans. Il nourrissait alors des doutes graves sur sa vocation et sur les dogmes de l’Église catholique. « Juste avant mon ordination, me dit-il, je suis allé voir un Domkapitular jésuite que j’admirais beaucoup pour lui exposer mes cloutes. Ce prêtre âgé et vénérable se mit à genoux, prit mes mains dans les siennes et me dit : “Croyez-moi, mon fils, vous êtes destiné à être prêtre ; nous avons tous des doutes ; il s’en présente toujours, mais ils passeront. Quand vous serez ordonné, quand vous porterez la robe ecclésiastique, ils passeront.” C’est ainsi que je devins prêtre. »
Il le demeura cinq ans et enseigna presque tout ce temps dans un pensionnat catholique à Freising. « Loin de s’apaiser, mes doutes se sont accrus et renforcés. Toutes mes conceptions morales, toute ma philosophie de la vie se révélaient incompatibles avec le dogme. C’est pourquoi, au bout de cinq ans, aux environs de 1933-1934, j’ai abandonné la prêtrise et l’Église. »
Avant de franchir ce pas, on peut présumer que Hartl, en quête d’un autre idéal, avait adhéré au national-socialisme. Il avait contribué – par malheur dit-il aujourd’hui – à l’arrestation et à la condamnation du principal de son collège, Kossberger, pour propos antinazis. Hartl avait été témoin à charge devant le tribunal qui condamna Rossberger à trois mois de prison.
Après avoir quitté l’Église, Hartl entra dans la SS et fut nommé chef du service des informations religieuses au quartier général de la SD de Berlin (Services de sécurité du Reich [24] ). Ce qu’étaient exactement ses fonctions n’apparaît pas très clairement, mais il a toujours soutenu – et, sur ce point, n’a jamais vacillé au cours des années, dans ses interrogatoires menés d’abord par les Américains, puis par les tribunaux allemands – que son rôle avait toujours été d’ordre informatif, jamais « opérationnel » – ou exécutif. Sa place à la tête du plus important service de renseignements de la Sécurité n’en revêt pas moins une signification exceptionnelle. Et le fait qu’en dépit d’interrogatoires échelonnés sur des années, il n’ait jamais été accusé d’aucun crime et n’ait jamais comparu dans les procès que comme témoin parle de lui-même en faveur de l’authenticité de ses déclarations actuelles.
Concernant les débuts du Programme d’euthanasie, il dit que dans le second semestre de 1938, il reçut de Heydrich, l’ordre d’aller se présenter à Brack à la Chancellerie du Führer pour une affaire d’État secrète. Brack lui dit que de nombreuses lettres de proches parents de malades incurables étaient parvenues à Hitler lui demandant d’autoriser la mort miséricordieuse pour ces
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