Au Fond Des Ténèbres
soirée et termina le manuscrit cette nuit-là.
La consultation du professeur Mayer était un document : un travail objectif mais l’impression ressentie – d’après certaines indications – était qu’il était personnellement favorable à l’euthanasie. Après être remonté très loin dans les précédents historiques et avoir cité un tas d’arguments pour et contre, il en venait à suggérer que le problème des malades mentaux dans son ensemble subissait le contrecoup de l’opinion erronée du Christ selon laquelle ces malades étaient possédés par le diable. C’est pourquoi, et notamment au Moyen Age, on les avait battus, torturés ou brûlés. Ultérieurement, dans une période relativement éclairée, on avait adopté des traitements plus humains et, dans certaines régions au moins, l’hébergement dans des asiles. Mais cela n’avait duré qu’un temps : il y avait eu un retour aux pratiques et aux superstitions médiévales. Ce n’est qu’à une époque relativement moderne, écrivait le professeur Mayer, qu’un nombre important de théologiens avait totalement rejeté l’euthanasie pour les malades mentaux, encore n’étaient-ils pas unanimes. On ne pouvait donc pas regarder ces oppositions comme une condamnation morale catégorique. À l’appui de cette absence significative d’unanimité, le professeur invoquait la thèse des jésuites de la probabilité morale. Cette thèse disait-il, soutenait « qu’il existe un petit nombre de décisions sans équivoque bonnes ou mauvaises au départ. La plupart des décisions morales sont douteuses. En cas de décision douteuse, s’il existe de solides raisons et des « autorités » de poids en faveur d’une opinion personnelle, cette opinion peut donner lieu à une décision, même si d’autres solides raisons et d’autres « autorités » s’y opposent ». Mayer se référait, en particulier, à saint Thomas d’Aquin, et pour finir, présentait sa conclusion quant à la mise à mort d’incurables mentaux ; puisqu’il se trouvait, côté pour et côté contre, de bonnes raisons et des autorités, alors l’euthanasie appliquée aux malades mentaux pouvait être considérée comme « défendable ».
Albert Hartl dit qu’il porta les cinq exemplaires le lendemain à la Chancellerie du Führer. « Environ un mois plus tard Brack me fit appeler pour me dire que, dès lors que la consultation indiquait clairement qu’il n’y avait pas lieu de s’attendre à une opposition unanime et sans équivoque de la part des deux Églises [25] Hitler était revenu sur son refus et avait donné l’ordre de mettre en train le Programme d’euthanasie. »
Hartl dit néanmoins que, quant à lui, même alors, il ne fut pas convaincu. « Je suggérai à Brack, eu égard à la gravité de l’enjeu, que nous informions les représentants des deux Églises du contenu de la consultation et de la décision de Hitler. » Brack, ainsi qu’il apparaît, fut d’accord et chargea Hartl de mettre au courant Joseph Roth, ancien prêtre qui n’avait pas officiellement abandonné la prêtrise [26] mais qui dirigeait à l’époque la section catholique au ministère des Cultes du Reich. Le Reichsleiter Bouhler, dit Brack, informerait en personne l’évêque Wienken, officiellement chargé de la liaison entre la conférence de Fulda (l’épiscopat allemand) et le gouvernement.
Harth dit avoir informé Joseph Roth – qui reçut de Brack un exemplaire de la consultation – et lui avoir demandé d’informer le nonce, Cesare Orsenigo ainsi que M gr Berning, archevêque d’Osnabrück qui jouissait d’une grande influence en Prusse. « Quand j’ai averti Roth, il n’a élevé aucune objection, dit Hartl. Il s’est borné à m’écouter. Il me dit plus tard avoir informé Berning et Orsenigo. » Berning semble avoir fait remarquer que « certaines pages de cette consultation posaient à l’Église des problèmes extrêmement embarrassants » tandis qu’Orsenigo, prétend Roth, s’abstint apparemment de tout commentaire et constata seulement que cette information n’avait comporté « aucune formalité » [ce qui signifiait, en termes diplomatiques, que tandis que l’acceptation officielle d’une information aurait entraîné la transmission officielle de cette information au Vatican, une acceptation non officielle n’entraînait pas d’obligation officielle de ce genre – cette distinction diplomatique ne rime pas à
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