Au Fond Des Ténèbres
C’était un article du Dr. Joseph Mayer, professeur de morale théologique à l’université de Paderborn.
Le professeur Mayer [qui avait publié dès 1927 un travail extrêmement contestable sur la stérilisation des aliénés] se livrait dans l’article en question à une très habile propagande, disait le père Leiber, en faveur de la nouvelle loi allemande sur l’eugénisme, sous le prétexte d’interpréter le point de vue formellement exprimé par l’Église. « Ce genre d’article, écrivait le père Leiber, est encore plus nocif qu’une plaidoirie en règle en faveur de cette loi. » [Comme on va le voir, la mention du professeur Joseph Mayer dans cette lettre est en rapport très étroit avec les événements ultérieurs.]
La loi de 1933 sur la stérilisation obligatoire des personnes affligées de maladies héréditaires fut suivie deux ans plus tard (8 octobre 1935) de l’Erbgesundheitsgesetz (loi de sauvegarde de la santé héréditaire du peuple allemand). Cette dernière étendait le champ d’application de la précédente par la légalisation de l’avortement en cas de grossesse si l’un des membres du couple se trouvait porteur d’une maladie héréditaire [21] .
Le commissaire du Reich à la Santé et médecin personnel de Hitler, Karl Brandt [22] reconnut au procès de Nuremberg que Hitler avait eu depuis longtemps en tête l’idée de l’euthanasie. Dès 1935, il avait dit au ministre de la Santé, Gerhard Wagner, partisan avoué de l’euthanasie, que « si la guerre survenait, il reprendrait le problème et trancherait ; ce serait plus facile en temps de guerre car l’Église ne serait pas alors en état d’opposer la résistance actuellement à prévoir ».
Ainsi, pendant les premières années au moins, Hitler et son entourage avaient pleinement conscience de l’opposition fondamentale de l’Église à l’euthanasie. Il est certain également que Hitler – toujours et avant tout réaliste – était et demeura jusqu’au bout parfaitement conscient du pouvoir de l’Église catholique en Allemagne. Sinon, il n’aurait pas ressenti la nécessité d’exercer un contrôle aussi rigoureux sur les activités éducatives de l’Église, notamment – et comme l’indique le père Leiber – sur la diffusion de son idéologie.
Et néanmoins, en dépit d’inquiétudes si justifiées sur les réactions potentielles de l’Église catholique [et leur influence sur la population] Hitler au début de l’automne 1939 faisait le premier pas décisif sur la voie fatale de la « légalisation » du meurtre. On a retrouvé après la guerre, dans les dossiers du ministère de la Justice, une note signée de Hitler [23] à Philip Bouhler. Elle n’est pas datée, mais, selon le Dr. Karl Brandt, elle prit forme de décret secret à la fin d’octobre 1939 et fut antidatée au 1 er septembre ; « Le Reichsleiter Bouhler et le Dr. Brandt sont chargés sous leur responsabilité de conférer à des médecins nommément désignés le pouvoir d’octroyer une mort miséricordieuse à des malades qui auront été jugés incurables au terme d’un examen rigoureux de leur état et dans les limites des possibilités humaines de jugement. »
Il est de fait que la guerre avait commencé et fournissait le camouflage que Hitler avait prévu en 1935 et qui allait lui permettre de « trancher la question ». Mais on pouvait estimer à juste titre que ce n’était pas assez de la guerre elle-même pour détourner l’attention des Églises de cette sombre entreprise qui finirait nécessairement par sortir de la clandestinité. Et il s’est avéré d’ailleurs que les nazis, avec un parfait réalisme, n’ont pas cru qu’ils pourraient la tenir cachée ; ils ont donc choisi la seule issue qu’il leur restait, qui consistait à « prendre la température » des Églises et à agir en conséquence de ce qu’ils auraient trouvé.
J’ai discuté en Allemagne de l’évolution du Programme d’euthanasie avec nombre de personnes qui y avaient été impliquées [avec d’autres aussi qui la déploraient] ; en particulier avec deux hommes qui, à différents moments et à des postes différents mais toujours élevés ont eu des rapports étroits et désastreux avec ce plan.
L’un d’eux est Herr Dieter Allers, qui était un jeune juriste quand, le 1 er janvier 1940 [c’est-à-dire à un stade relativement avancé de l’opération, deux mois après l’affectation
Weitere Kostenlose Bücher