Au Fond Des Ténèbres
grand-chose en pareil cas, semble-t-il, attendu qu’il ne fait pas de doute que l’obligation de transmettre existait bel et bien pour le cardinal].
Brack dit, semble-t-il, à Hartl, que l’évêque Wienken avait manifesté « une très grande compréhension pour les mesures envisagées » mais avait ajouté « qu’il fallait se rendre compte qu’il existait parmi les évêques catholiques quelques « têtes brûlées » qui exploiteraient vraisemblablement l’affaire pour aggraver la controverse entre l’Église et l’État ».
Hartl prétend que du côté protestant, c’est le pasteur von Bodelschwingh – particulièrement désigné puisqu’il dirigeait une institution pour malades mentaux – qui fut informé. Cette fois encore, Brack aurait dit que von Bodelschwingh n’avait répondu ni oui ni non mais s’était borné à insister pour que son institution fût exemptée de mesures. [Selon le livre de Lothar Bruchmann, l’Euthanasie et la justice dans le IIIe Reich, le pasteur von Bodelschwingh et le pasteur Braune, autre ministre protestant de haut rang qui dirigeait également une institution pour malades mentaux élevèrent des protestations particulièrement vigoureuses, certainement dès le printemps 1940.]
Hartl ajoute que bientôt après ces premières démarches, il reçut l’ordre de réunir un petit groupe de médecins et de juristes – huit à dix environ – pour leur donner connaissance de la consultation. Il devait, par la suite, s’adresser à deux groupes encore. Dans le premier se trouvait le professeur Werner Heyde qui allait devenir le directeur médical du Programme. « J’ai parlé à peu près une demi-heure, dit Hartl. Aucune question ne m’a été posée et il n’y a pas eu de discussion. Ils n’ont pas bougé. »
Si le récit tel que l’a rapporté Hartl est véridique, il donne une nouvelle dimension aux doutes qui s’élevaient déjà concernant la direction morale du Saint-Siège durant le règne des nazis en Allemagne.
La crédibilité de toute cette suite d’événements paraissait au début reposer pour une large part sur le caractère et les motivations d’un seul homme, Albert Hartl.
Au départ, j’inclinais, pour parler net, à me méfier de lui : de ce prêtre qui avait livré à la Gestapo un autre ecclésiastique auquel – c’est le moins qu’on puisse dire – il aurait dû être lié par le loyalisme de la profession ; un homme qui avait abandonné la prêtrise pour rejoindre la SS et qui, en outre, par les fonctions mêmes qu’il exerçait, paraissait enclin à livrer aux nazis ses frères en religion d’autrefois ; cet homme enfin qu’on avait envoyé se battre en Russie [je le tiens de lui] et qui devait être plus tard emprisonné à Nuremberg durant la période d’instruction sur son appartenance possible aux Einsatzgruppen [27] assassins. [En fait, il fut disculpé de cette accusation en 1949.] Au départ, la parole de cet homme ne me paraissait pas de celles que l’on puisse accepter sans vérification, s’agissant d’événements d’une telle gravité.
D’autre part, c’était une histoire si extraordinaire – si sensationnelle en termes journalistiques ; comment se faisait-il comment était-il possible qu’aucun journal, aucun magazine ne l’eût jamais relevée, même au moment où elle avait fini par émerger en Allemagne dans deux procès d’euthanasie, à la fin de 1965 d’abord, puis en 1967 ? En vérité, pourquoi n’était-elle jamais sortie à Nuremberg, lorsque la vie de Brack s’était jouée au tribunal et que, si la preuve avait été apportée que les Églises étaient au courant du projet d’euthanasie avant qu’il entre en application et l’avaient tacitement accepté – par leur silence calculé – sa culpabilité se serait trouvée atténuée [28] ?
Le fait que Herr Dieter Allers m’ait dit que Brack lui avait parlé à lui aussi de la consultation du professeur Mayer lors de leur première rencontre en janvier 1940 et avait ajouté que « le Vatican était également au courant » ne pouvait pas emporter mon entière conviction.
Mais c’est alors que j’obtins, en prévision de ma rencontre avec Herr Hartl, les comptes rendus et pièces d’un procès d’euthanasie qui s’était déroulé à Francfort en mars 1967 et où avaient comparu comme témoins non seulement Albert Hartl, mais aussi le professeur Joseph Mayer. Et je reçus simultanément copie d’une
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