Au Fond Des Ténèbres
où l’on enterrait]. Il disait que je devais dire le kaddish pour mon père. “Ici personne ne reste en vie. Priez pour eux.”
« Alors nous avons su. Et nous avons appris également que sur chaque convoi ils gardaient une cinquantaine d’hommes et de garçons vigoureux qui étaient chargés du nettoyage après que tous les autres avaient été tués. Les corps n’étaient pas brûlés à cette époque, ils étaient enterrés dans des fosses à chaux vive. Et quand ils avaient terminé, on les tuait à leur tour. Au début cela se produisait chaque jour. Ce n’est que plus tard que cette besogne a été assurée par des Kommandos semi-permanents qui ont travaillé des semaines, des mois et – quelques-uns – pendant toute la durée du camp. Mais à partir de cet instant la conscience de la proximité de la mort ne m’a plus quitté. Cependant – et c’est la vérité – au plus profond de moi je n’ai jamais cru que moi – moi – j’allais mourir.
« Je continuais à voir Stangl chaque jour. Il semblait fasciné par mon travail. Et il me parlait, il bavardait, comme si nous étions dans la vie de tous les jours, moi l’artisan, lui le client.
« Après la note de mon cousin du Camp III, pendant longtemps, je ne lui ai plus rien demandé au sujet de mon père. Mais un jour, juste pour voir ce qu’il dirait, j’ai posé à nouveau la question : “Comment va mon père ?” C’était des semaines plus tard, mais il m’a répété : “Il va bien ; ne t’inquiète pas pour lui ; fais simplement ton travail.”
« Je savais que ce travail était notre seule sauvegarde. Je travaillais jour et nuit. Le truc, c’était de se rendre indispensable. Et ils voulaient tous des objets en or. Oh ! je suis certain que j’ai fait des choses pour Stangl. Je ne peux me rappeler quoi, mais tous commandaient des choses, comme des motifs ou des monogrammes pour les sacs à main de leurs femmes ou de leurs petites amies. Il y avait tant d’or, tant de fric, tant de choses : nous ne manquions de rien pour notre vie de tous les jours. Aussi longtemps que les riches convois sont arrivés, nous avons eu toute la nourriture du monde, tout ce qu’on pouvait rêver.
« Un jour, assez tôt, on nous a ordonné de rester dans nos baraques ; si on se pointait, on était tirés à vue. Il y avait une grande agitation et par la fenêtre nous avons vu arriver une file de voitures. Plus tard nous avons découvert que c’était Himmler ; et il est revenu quelques mois après. Le lendemain même de sa visite, les constructions ont été accélérées et peu de temps après il y a eu de nouveaux bâtiments, de nouvelles installations et le nombre des transports et le nombre des gens assassinés ont décuplé.
« Bientôt nous avons eu de la compagnie dans notre baraque : trois jeunes femmes : Edda, Esther et Bagle, qui venaient travailler comme cuisinières. Puis deux cordonniers, deux boulangers, cinq tailleurs, un chapelier – il en est venu de plus en plus et finalement on nous a séparés en groupes dans différentes baraques. J’ai été nommé “Ancien du bloc” de mon groupe, qui comportait blanchisseurs, cuisiniers, maçons, boulangers et nous les orfèvres. »
Dans son livre, Stan raconte une brève histoire d’amour qu’il eut avec la cuisinière, Bagle. Elle était arrivée au camp avec son mari qui avait été tué tout de suite. « J’avais fait l’amour juste une fois, écrit Stan, avec une jeune fille de quinze ans, dans le ghetto de Wolwonice où nous dormions, tassés les uns contre les autres. Mais je me sentais terriblement inexpérimenté. J’aimais bien Bagle. Un jour je suis allé à la cuisine. Elle m’a dit qu’Edda et Esther, les deux autres filles qui travaillaient avec elle, étaient parties se laver. J’ai pensé que l’occasion était bonne et je l’ai embrassée et je lui ai dit que je la désirais. Elle a souri et m’a dit que j’étais bien trop jeune pour elle. « Esther est plus de ton âge », dit-elle. Mais j’ai répliqué que c’était elle que j’aimais et pas Esther. Je lui ai raconté que je n’avais jamais eu de fruit mûr et que je n’avais pas envie de commencer avec un vert. Et j’ai vu alors qu’au fond elle était fière d’être préférée à une fille plus jeune et elle est venue vers moi. »
J’ai interrogé Stan Szmajzner avec un soin particulier sur une partie de son témoignage à la police brésilienne et plus
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