Au Fond Des Ténèbres
bouche des gens… Stangl, témoigna-t-il, a toujours été cordial et il me traitait avec bienveillance. Avec lui je n’avais pas l’impression d’être dans un camp. [Mais] je pensais à coup sûr que l’or qu’il m’apportait était pour son usage personnel. Il n’avait pas besoin d’envoyer quelqu’un d’autre ou de se cacher. »
Au tribunal, Stangl a nié avec insistance avoir demandé à Szmajzner ou à quelqu’un d’autre de faire fondre de l’or. « Je le regardais tout simplement travailler. Une fois je lui ai dit de couper les feuilles de chêne d’une pièce d’argent d’un mark et d’y incruster mon monogramme en or et en argent. C’est tout. »
« Le témoignage de Szmajzner, me dit Frau Stangl, était évidemment très important pour nous puisqu’il vivait ici au Brésil comme nous. Quand il a fait sa déposition à la police, à Brasilia, les journaux en ont été pleins et ça a fait beaucoup de mal à Paul. Il en a été très profondément blessé, il me l’a dit, parce que Szmajzner n’était qu’un enfant à Sobibor et que Paul l’aimait vraiment beaucoup. »
Szmajzner a permis aux photographes de presse de le prendre avec Frau Stangl à la fin de l’audience à Düsseldorf. Je me souviens de mon ahurissement en voyant ce survivant de Sobibor poser tout souriant près de la femme de Stangl et j’ai interrogé Stan là-dessus à Goiania. « J’ai accepté parce que je n’avais rien contre la famille Stangl et je savais combien tout cela était pénible pour eux. Je pensais que si je montrais ma bonne volonté en posant avec Frau Stangl pour les photographes de la presse brésilienne, cela pourrait influencer l’opinion publique vis-à-vis de la famille de Stangl. »
Tout au long de notre longue conversation, Stan Szmajzner s’est montré juste et tolérant. Je le sentais, en vérité, presque trop soucieux de faire crédit chaque fois qu’il le pouvait, à un homme dont la famille « qui n’avait rien à faire dans tout cela » vivait aussi dans le pays qu’il avait lui-même choisi. Cela contrastait de manière évidente avec son attitude lorsque je lui ai appris que Gustav Wagner était encore vivant, probablement au Brésil, information que je tenais de Stangl. En l’apprenant, Stan s’écria : « Ça c’est le pire. C’est le coup le plus terrible pour moi. Cet homme… Ici au Brésil. Pensez que maintenant je respire le même air, que lui, cela me touche terriblement, j’en suis malade… Je ne saurais trouver les mots pour vous raconter l’horrible, véritablement horrible individu que c’est. Stangl – mais il est bon – par comparaison, très bon. Mais Wagner… Il devrait être mort… » Il me supplia de découvrir où se trouvait Wagner parce que, répétait-il, « il faut que je fasse quelque chose ». Il m’a fallu presque la journée entière pour le calmer et le persuader que cette vengeance ne devait pas être la sienne.
J’ai demandé à Stan Szmajzner comment à son avis, il était parvenu à survivre. Quelle sorte d’homme faut-il être pour survivre dans ces camps ? Quelles qualités particulières cela demandait-il ?
« Je comprends votre question, dit-il. Oui, nous aussi étions pourris bien sûr ; la seule chose, c’était vivre. Je me souviens de notre fureur quand les convois arrivaient de l’Est plutôt que de l’Ouest. Ceux en provenance d’Allemagne, de Hollande, d’Autriche, de Hongrie, nous rapportaient des vêtements et par-dessus tout de la nourriture ; nous pouvions y aller voir, et choisir ce qui nous plaisait. Ceux venant de Pologne ou de l’Est ne contenaient rien, et alors nous avions quand même faim. C’est vrai, vous savez, s’il n’y avait pas eu d’or, nous n’aurions pas pu vivre. Ainsi, en quelque sorte, leur mort c’était notre vie.
« Je n’ai jamais vu Stangl battre qui que ce soit, me dit-il à la fin. Ce qui était spécial chez lui, c’était son arrogance. Et le plaisir évident qu’il trouvait dans son travail et sa situation. Aucun des autres – bien qu’ils aient été, de manière différente, bien pires que lui – ne montrait cela à un tel degré. Il avait ce perpétuel sourire sur le visage – Non, je ne pense pas que c’était un sourire nerveux ; c’était parce qu’il était heureux. »
5
Souhaitiez-vous que votre famille vienne vous voir en Pologne ? ai-je demandé à Stangl.
« Je souhaitais les voir, bien sûr. Mais vous ne voyez
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