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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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tard au procès : la presse brésilienne en avait largement fait état. Il avait déclaré que Stangl avait l’habitude de lui apporter des saucisses le vendredi soir en lui criant à voix forte : « Voici quelques saucisses pour célébrer le sabbat. » Le sous-entendu évident était que Stangl, d’une manière particulièrement outrageante, tourmentait le jeune garçon d’une famille juive orthodoxe avec du porc, alors qu’il était vraisemblablement affamé.
    En octobre 1970, j’étais dans la salle le dernier jour du procès de Stangl quand Stan témoigna à ce sujet et j’acquis la certitude – comme la cour, les journaux et auparavant les Brésiliens – que c’était bien ce qu’il avait eu l’intention de faire comprendre.
    Stangl, dans nos entretiens, se référait souvent avec amertume à cette partie du témoignage de Szmajzner. « Cette histoire de saucisses a été délibérément déformée. C’est vrai que j’avais l’habitude de lui apporter de la nourriture et sans doute des saucisses. Mais ce n’était pas pour le tenter avec du porc ; je lui ai apporté d’autres choses aussi. C’était le vendredi que nous recevions nos rations – il y avait beaucoup de provisions au camp la plupart du temps et nous avions de la nourriture de reste. Je l’aimais bien cet enfant… Il a témoigné au Brésil – et vous auriez dû voir comment les journaux ont gobé cela, ce qu’ils en ont fait – que j’avais l’habitude de me tenir devant la fenêtre de la baraque où il travaillait et que je criais avec mépris en tendant les saucisses.
    « Mais je n’ai jamais fait une chose pareille… Je ne me suis jamais préoccupé de savoir avec quoi étaient faites les saucisses – si saucisses il y avait. Mais vous savez, pendant la guerre, le porc était un luxe ; honnêtement je ne pense pas qu’il y en avait dans les saucisses, c’était probablement un mélange de bœuf et de chapelure… »
    Au Brésil, Stan me raconta qu’il n’avait pas réellement été dans son intention de laisser entendre que Stangl avait voulu le tourmenter, et que d’ailleurs lui-même ne savait pas de quoi étaient faites les saucisses. Je lui ai demandé s’il avait réalisé l’interprétation donnée à ses déclarations – il avait répété la même histoire trois fois et trois fois elle avait été comprise de la même manière.
    « Je ne sais pas ce que je pouvais penser, dit-il. Mais je ne l’envisageais vraiment pas ainsi. C’était peut-être vraiment pour me rendre service. C’est certain qu’il semblait m’aimer bien ; j’étais son petit chouchou. Peut-être que réellement il souhaitait m’aider. Quand même, ajouta-t-il pensivement, c’est drôle n’est-ce pas qu’il me les ait toujours apportées le vendredi soir. »
    Je ne suis pas absolument certaine que Stangl fût incapable de ce genre de jeu cruel ; c’est bien possible dans le contexte de son évolution (comme nous le verrons plus tard) survenue peu après son arrivée à Sobibor. Il est également possible, s’il a fait cela, qu’il l’ait nié plus tard pas seulement vis-à-vis des autres, mais vis-à-vis de lui-même. Au fur et à mesure de nos conversations, il devint évident qu’il était de plus en plus atteint (jusqu’aux deux derniers jours) par ce qu’on pourrait appeler les petites manifestations de sa propre corruption ; encore une fois par ce qu’il avait fait plutôt que par ce qu’il avait été. C’étaient ses actes – ses actes relativement anodins – qu’il avait grand-peine à nier ou à justifier plutôt que son total changement de personnalité.
    Stan Szmajzner avait dit aussi au tribunal ainsi qu’à moi-même que Stangl lui avait commandé un monogramme pour un sac à main. Lors d’un contre-interrogatoire il dit encore à la cour que, fouet, sac à main ou bague, il était certain d’avoir fait quelque chose pour Stangl. Il expliqua que sur ordre de Wagner ou de Stangl, il avait fait des chevalières pour tous les SS – certaines en argent avec le Totenrune [56] incrusté en or (deux Y tête-bêche, symbolisant la vie et la mort, dont les SS étaient les maîtres, ainsi que lui avait dit Wagner). Stangl, ajoutait-il, n’avait nul besoin de faire mystère de lui avoir apporté de petites quantités d’or à fondre. « Tous m’ont apporté de l’or – plus tard c’était de l’or avec encore de la chair et du sang, tel qu’il avait été arraché de la

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