Au Pays Des Bayous
nombre de ses sujets et on en retirera dès à présent plusieurs choses, et dans la suite beaucoup d'avantages qui seront utiles au royaume. En un mot cette entreprise me paraît digne de l'attention d'un grand ministre. Mais permettez-moi, Monseigneur, de vous remontrer qu'une compagnie aussi faible que celle qui se présente aujourd'hui n'est point capable de faire, ni de soutenir, un établissement de cette importance. »
Après avoir expliqué que les promoteurs ne pourront faire que de médiocres investissements et, partant, que de modestes profits alors que « cette démarche pourra causer autant de jalousie dans l'Europe, qu'en causerait une Compagnie aussi célèbre que le demande le Mississippi », l'expert de conclure : « cet ouvrage demande des réflexions pour le bien fonder, et un temps de paix ».
Dans le mémoire annexé à cette lettre, le même Nicolas Mesnager, qui devait aimer philosopher à l'occasion, se montrait encore plus méfiant à l'égard de Rémonville et de ses associés éventuels. « Les hommes se gouvernent par leur intérêt et une sûreté apparente de faire quelque profit les engage assez souvent aux entreprises les plus équivoques. Les négociants dont on projette de composer la Compagnie du Mississippi suivent le système qu'on vient d'exposer plus régulièrement que les autres personnes, ils ne sont négociants que pour trouver du profit et ne forment leur entreprise que sur des calculs qui empêchent ordinairement de donner dans les vues sans fondement. »
Si le ministre, malgré ces restrictions, croit à l'utilité et à l'avenir économique et stratégique de la Louisiane, le roi, lui, se montre sceptique. Dès le commencement de la guerre de Succession d'Espagne, en 1702, il avait fait des comptes et s'était aperçu que cette colonie improductive coûtait cher aux finances royales. Il avait aussitôt prié Iberville, alors commandant de la Louisiane, de réduire les frais.
À peu près dans le même temps que M. de Rémonville envoyait son projet de compagnie, des gens bien intentionnés étaient venus raconter au souverain que des colons de Louisiane avaient pillé, entre l'île Massacre et Mobile, la cargaison de l' Aigle , navire du roi. Louis XIV et son ministre s'étaient alors demandé s'il fallait encourager la poursuite d'une entreprise coloniale qui ressemblait fort à une œuvre philanthropique. Aussi, quand le directeur des vivres de la marine au port de Rochefort, Jean-Baptiste Duché, ayant réuni un capital de deux cent mille livres, vint à son tour proposer la fondation d'une compagnie de commerce pour la mise en valeur de la Louisiane, il fut, après qu'on lui eut, dans un premier temps, laissé entrevoir une possible attribution de lettres patentes, courtoisement éconduit comme M. de Rémonville. Ce dernier, titulaire d'une lettre de marque, avait réalisé quelques profits dans la course. Il choisit de les investir et de se lancer seul dans l'aventure louisianaise. Après s'être considérablement endetté, il décida d'équiper un de ses navires, la Renommée , et de se transporter en Louisiane avec le projet d'y fonder un établissement. Le navire quitta La Rochelle en novembre 1710, mais il mit, on ne sait trop pourquoi, dix-huit mois à atteindre sa destination. L'armateur, qui avait eu connaissance à La Havane du décès de M. de Muys, gouverneur de la Louisiane désigné en 1707, avait l'ambition d'obtenir le poste vacant que Bienville occupait alors sans titre. Non seulement cette ambition fut déçue, mais Rémonville se ruina. Abandonné de Pontchartrain, qui avait paru un moment encourager son entreprise, il fut assez heureux pour obtenir plusieurs sursis de ses créanciers grâce à l'intervention du roi. Le souverain ne pouvait moins faire, l'État tardant lui-même à rembourser à l'armateur les sommes qu'il avait investies pour le service de Sa Majesté !
Ces tentatives et projets émanant de particuliers intéressés par l'exploitation de la Louisiane n'avaient pu retenir longtemps l'attention du roi et de ses ministres. La guerre mobilisait la marine, l'armée et les ressources financières de l'État. En Europe, du désastre de Ramillies à la bataille indécise et meurtrière de Malplaquet, les combats n'avaient pas cessé sur divers fronts, de la Hollande à l'Espagne. En 1709, les rigueurs de l'hiver, les variations de la monnaie, les suppléments d'impôts, la disette avaient provoqué des désordres en
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