Au Pays Des Bayous
contrôler les dépenses de la marine, qui refusa régulièrement à Pontchartrain des fournitures, des vaisseaux, des munitions et des approvisionnements pour la flotte et pour les colonies auxquelles il ne croyait guère. Il réussit même, en s'immisçant dans les ordres à donner aux commandants de navire, à réduire le nombre des traversées à destination de l'Amérique et à provoquer l'échec de l'expédition de Claude de Forbin, chargé de conduire en Écosse le prétendant Jacques Stuart.
On savait partout que M. de Pontchartrain n'avait aucune sympathie pour ce contrôleur des Finances timoré, dont dépendaient les ressources de la marine et par là toute la politique coloniale. La fâcherie devint complète entre les deux hommes quand Pontchartrain eut le front d'être le premier à annoncer au roi, en août 1707, la retraite du duc de Savoie à travers la Provence. Les bonnes nouvelles étaient assez rares à ce moment-là pour que chacun s'efforçât de les transmettre en priorité au souverain. Avec l'infatuation niaise qui le caractérisait, Chamillart vit dans cette intervention du ministre de la Marine un manquement impardonnable à l'étiquette. L'information n'étant pas d'essence maritime, M. de Pontchartrain n'aurait jamais dû recevoir directement la nouvelle et encore moins la transmettre au roi ! Saint-Simon s'empressa de noter le différend, qui donne une idée de la futilité de la cour. « Jamais on ne vit mieux qu'en cette occasion la folie universelle, et qu'on ne juge jamais des choses par ce qu'elles sont mais par les personnes qu'elles regardent. […] Pontchartrain n'eut pas une seule voix pour lui et Chamillart, qui, dans ce fait, méritait d'être sifflé, les eut toutes. » En 1708, moins d'un an après l'incident, voulant jouer au fin diplomate, « Chamillart tomba dans un grand ridicule public par deux voyages qu'il fit faire à Helvétius en Hollande… » et fut contraint de démissionner. Il dut alors entendre le quatrain ironique que l'on fit circuler dans les salons :
Ci-gît le fameux Chamillart
De son roi le protonotaire,
Qui fut un héros au billard,
Un zéro dans le ministère.
Le passage aux affaires de cet honnête homme, dont les abus d'autorité niaise, la courtisanerie et la douce bêtise eurent des conséquences désastreuses, fut particulièrement préjudiciable au développement de la Louisiane qui n'avait pas besoin de ce handicap supplémentaire.
Chamillart fut remplacé par Daniel François Voysin, futur chancelier de France, dont la femme était une amie de Mme de Maintenon, ce qui ne changea rien au sort de la malheureuse colonie.
Projet d'un armateur
Les amis comme les ennemis de Bienville se rendirent vite compte qu'un territoire dont la cour et les ministres semblaient faire si peu cas ne connaîtrait jamais le développement espéré par les pionniers. Certains estimaient que seule une affaire privée, soutenue par l'État et généreusement intéressée au succès, donc aux bénéfices éventuels de l'entreprise, saurait mettre en valeur une colonie que l'on disait pleine de ressources.
Un armateur, M. de Rémonville, avait déjà constitué, en 1701, avec Iberville, un fermier général et le défunt Le Sueur dont la veuve et les enfants vivotaient misérablement à Mobile, une éphémère Compagnie des Sioux, chargée d'exploiter une mine de cuivre située sur la rivière Saint-Pierre, à l'ouest du lac Michigan. Bien qu'on eût extrait, en une saison, une grande quantité de minerai, les mineurs, venus du nord de la France et du Canada, qui redoutaient les fréquentes incursions des Indiens, avaient, en moins d'un an, abandonné le site.
Nullement découragé par cet échec, M. de Rémonville avait proposé au comte de Pontchartrain la création, beaucoup plus ambitieuse, d'une compagnie de commerce « pour l'établissement de la Louisiane ». Dans une longue lettre du 22 juin 1707, l'armateur expliquait au ministre : « Le roi étant occupé à une guerre que l'envie de toute l'Europe lui suscite et qui l'empêche de donner à cette colonie informe et languissante tous les secours dont elle aurait besoin pour la rendre utile à l'État et commode à ses colons, il n'y aurait qu'une compagnie qui, formée d'honnêtes gens et bien intentionnés, pourrait la mettre en état de donner des productions utiles. »
Après ce préambule de courtisan, M. de Rémonville, peut-être mal informé, se lançait dans une
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