Au Pays Des Bayous
une écorce assez solide, les Indiens préféraient la pirogue de bois au canoë d'écorce. Suivant les zones de végétation, ils utilisaient le peuplier, le fromager, le noyer ou le cyprès. La technique de fabrication était plus rustique et l'on trouvait des pirogues de toute taille, les plus longues mesurant quinze mètres, les plus courtes quatre mètres. Après avoir choisi, abattu et ébranché un arbre, les Indiens l'enduisaient d'argile humide aux deux extrémités et sur toute la longueur du tronc, mais seulement sur les deux tiers de sa circonférence. Ainsi était délimitée la forme de la future coque. Ils allumaient ensuite un grand feu qui attaquait le bois aux endroits que ne protégeait pas la gangue d'argile. Il fallait à tout moment asperger l'argile, en ajouter, défendre du feu la partie du tronc que l'on entendait conserver. En procédant par grattage du bois brûlé, les Indiens parvenaient à creuser l'intérieur du tronc.
Depuis l'arrivée des Européens, la hache et l'herminette facilitaient grandement la finition du bateau qui, réalisé d'une seule pièce, paraissait d'une parfaite étanchéité et d'une robustesse bien supérieure à celle des canoës faits d'écorce de bouleau. Un patient affinage des formes extérieures conférait à ces pirogues une grande maniabilité. Montées par des pagayeurs musclés et adroits, ces embarcations atteignaient de belles vitesses.
Avec plus ou moins de bonheur, les premiers colons de Louisiane s'étaient mis, par nécessité, à la fabrication de pirogues, mais les artisans venus de La Rochelle ou de Saint-Malo répugnaient à ces méthodes primitives et passaient leur temps à rechercher des arbres qu'ils pourraient débiter en planches et madriers afin de construire des bateaux à l'européenne.
Près de deux siècles plus tôt, au cours de l'hiver 1542, les rescapés de l'expédition de Hernando de Soto avaient dû, pour quitter le pays où leur chef venait de périr, construire sept petits bateaux sur la berge du Mississippi. Leur chantier se trouvait, d'après les chercheurs louisianais, entre Rodney Bend et Waterproof, sur le territoire de la paroisse Tensas, au nord de Natchez. On sait que c'est un Génois, maître Francisco, architecte naval, membre de l'expédition, qui avait dessiné les bateaux, choisi les arbres à abattre et dirigé la construction. Il semble que les colons français du commencement du XVIII e siècle n'aient pas eu la capacité des explorateurs espagnols ! Il faudra en effet attendre 1719 pour que le chantier de Mobile produise le premier bateau digne de ce nom suivant les critères maritimes de l'époque.
Ceux qui ont eu le courage, avant cette date, de remonter le fleuve à partir de Mobile dans les grandes pirogues indiennes ou de le descendre en venant de la Nouvelle-France ont trouvé, sur les rives de l'Ouabache, chez les Indiens Natchez ou Arkansa, et plus au nord, au-delà de l'Ohio, dans la région des Illinois, chère au regretté Henry de Tonty, des terres fertiles, un climat salubre et de meilleures conditions de vie. C'est le cas d'un militaire canadien d'origine gasconne, Antoine Laumet, dit Antoine de La Mothe-Cadillac, établi au détroit Pontchartrain 12 , entre les lacs Érié et Huron.
Descendant d'une famille honorable mais ruinée – son père était conseiller au parlement du Languedoc – La Mothe-Cadillac est autoritaire, impulsif, convaincu de sa supériorité de naissance et pourvu d'un orgueil que certains qualifient de pathologiquement démesuré. Ayant perdu trop tôt ses parents, il a vécu une adolescence mélancolique dans une tour solitaire « drapée dans une robe de mousse et de lierre », dernier vestige du château familial que les voisins nomment la corbeautière des Cadillac. Au physique, il ne paraît guère séduisant. Non seulement il est affligé d'un gros nez retroussé, mais un strabisme convergent gâte son regard. Sans grande éducation, assez ignorant, c'est un garçon pieux, qui n'espère qu'un riche mariage pour redorer son blason.
En épousant une vieille demoiselle vaguement apparentée au duc de Lauzun, il avait obtenu le grade de capitaine et une compagnie d'infanterie. Après s'être très courageusement battu en Europe, pour la plus grande gloire du Roi-Soleil, il avait été envoyé en Nouvelle-France, où il pensait faire fortune. Il avait déchanté dès son arrivée, et encore plus après le pillage de sa maison acadienne, par les Anglais,
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