Au Pays Des Bayous
France, auxquels s'étaient ajoutés ceux suscités par une résurgence de la révolte des camisards dans les Cévennes. Sur mer, les Anglais, qui avaient acquis une suprématie évidente, étaient en situation, après s'être emparés de Port-Royal le 13 octobre 1710, d'en finir avec l'Acadie, qui devait, d'après Dudley, gouverneur du Massachusetts, « redevenir la Nouvelle-Écosse » !
Ces revers, à peine compensés par quelques victoires qui permirent de préserver en Europe les frontières françaises, incitèrent Louis XIV à entériner le 8 octobre 1711 les préliminaires d'un traité de paix. Le Roi-Soleil admettait enfin la succession protestante en Grande-Bretagne, accordait aux Anglais Port-Mahon, Gibraltar et l'île Saint-Christophe, s'engageait à démanteler les remparts de Dunkerque et abandonnait pour trente ans aux armateurs de la City le privilège de l' Asiento , c'est-à-dire le très rentable monopole de la traite des Noirs d'Afrique.
Dès que le processus de paix, qui ne devait trouver son aboutissement que le 11 avril 1713 lors de la signature, à Utrecht, d'un traité aussi mutilant pour la France que pour l'Espagne, fut engagé, Pontchartrain reprit conscience de l'importance de la Louisiane. Débarrassé de Chamillart, remplacé aux Finances par Voysin, puis Nicolas Desmarets, le ministre de la Marine croyait avoir les coudées franches pour reconsidérer les besoins de la colonie.
Des forts et des bateaux
En Louisiane, Bienville et Diron d'Artaguiette s'entendaient comme larrons en foire. Commissaire ordonnateur en titre, M. d'Artaguiette avait rapidement signifié à Nicolas de La Salle, qui s'obstinait à envoyer en France des rapports vipérins, qu'il devait rentrer dans le rang des simples particuliers et ne plus se mêler de l'administration de la colonie. Bienville, pour sa part, avait obtenu le rappel du curé de La Vente. Les gêneurs étant évacués, les deux hommes avaient mis en train la construction d'un nouveau fort. Situé entre la passe est du Mississippi et le lac Pontchartrain, sur l'île dite de la Balise, ce poste permettrait de mieux surveiller l'entrée du fleuve et créerait un embryon de vie urbaine. Comme le fort Louis se délabrait au fil des saisons, ils choisirent, en 1711, de le déplacer et firent dessiner une nouvelle ville de Mobile qui, sur le document déposé aux Archives nationales, offre l'aspect organisé d'une petite cité neuve. Précis comme un cadastre, le plan montre des rues rectilignes se coupant à angle droit. Dans le même temps qu'il imaginait cette nouvelle capitale, Bienville lança la construction d'un fort Rosalie chez les Natchez et autorisa un marin de Saint-Malo, représentant d'un armateur, M. de Coisac, à construire un autre fort et une église sur l'île Massacre, rebaptisée île Dauphine.
Mais, malgré ces initiatives, la situation n'évolua que lentement. On vit certes peu à peu s'élever de nouvelles maisons, mais les habitants de la côte réclamaient des esclaves noirs, que des bateaux auraient dû livrer pour commencer des plantations de tabac. Or, en 1710, la colonie ne comptait que vingt Noirs acquis par des cultivateurs moins démunis que les autres. En attendant, constatait l'enseigne Mandeville, « les gens mariés et sédentaires vivent dans la même fainéantise, alléguant pour excuse qu'ils ne voient rien de solide dans l'avenir de la colonie ». Et cependant, un agriculteur courageux a fait pousser du froment, de l'orge, de l'avoine, du lin. « C'est le même terrain qu'à Bordeaux », précise Mandeville, qui ne semble pas avoir de grandes connaissances en agronomie. Un mémoire anonyme de la même époque indique : « La situation de la Louisiane est la même que celle des meilleurs pays du monde qui nous sont connus. Les terres qu'on se propose d'y habiter sont situées entre le 30 e et le 41 e degré de latitude comme la Chine, la Perse, l'Espagne, la Corse de Barbarie. Ce pays est bon. » Si « les pommiers ne viennent pas », les pruniers, les mûriers et les pêchers sont abondants, « le raisin de France vient bien » au contraire des orangers qui ne résistent pas. Les arbres n'ont que de courtes vies étant donné les pluies violentes et les vents. Si l'on peut obtenir du fourrage, « sur dix sortes de bois il n'y en a qu'une seule où les vers ne se mettent pas », ce qui rend aléatoire la construction de bateaux dont les colons ont grand besoin. Cependant, les pins étant
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