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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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infirmière avant mon
     mariage.
    — Une garde-malade, à part apporter le bouillon...
    — Je vous ai assez vus, tous les deux. Retournez dehors, ordonna Isabelle,
     impatiente.
    Adélard ne s’obstina pas. Il s’adressa à son frère :
    — Tu diras à maman de pas me chercher, que j’ai plus faim.
    Haussant les épaules, Adélard partit en direction d’une chaise longue trônant
     face au lac.
    — Un jour, Hélène, j’te raconterai comment la pouliche est venue manger dans ma
     main. Les saintes-nitouches, ça ne me résiste pas, reprit Zoel.
    Refoulant l’envie de s’enfuir qui la tenaillait, Hélène jeta un regard en
     direction de Chapeau. Vivement que ce dimanche se termine et qu’elle puisse
     aller retrouver l’Amérindien. Elle aimait s’occuper des deux filles et du petit
     garçon d’Henry. L’idée venait de sa tante Julianna. Cela s’était avéré la
     meilleure solution. Hélène refusait de se chercher du travail comme maîtresse
     d’école. À Québec, la maison d’Isabelle et d’Henry était confortable. Elle y
     occupait une belle grande chambre à elle toute seule. Hélène adorait la vue du
     fleuve qu’il y avait de la fenêtre. Comme elle aurait aimé pouvoir aller s’y
     promener ! Depuis son agression, elle n’osait s’aventurer trop loin. Quand elle
     emmenait les enfants au parc, elle épiait le moindre passant, n’hésitant pas à
     changer de trottoir si un homme venait à leur rencontre. Elle fuyait tout
     contact, refusait de lier des amitiés. Elle n’était plus que la simple imitation
     d’une jeune fille. Hélène ferma les yeux. Elle sortait du cinéma, elle revenait
     chez sa tante Julianna, la vie devant elle ; bientôt, elle enseignerait aux
     sourds et muets. Elle marchait tranquillement, essayant de ne pas se faire
     remarquer, sa claudication la gênant, ne se doutant pas qu’un prédateur laguettait, la pistait, la piégeait, pour la blesser, la forcer,
     la déchiqueter… Le souffle de l’homme, son haleine, son odeur, sa force... Son
     impuissance à elle... Ah non, le carrousel d’images d’horreur était
     reparti...
    Hélène inspira profondément. Dans sa tête, elle chantonna une comptine :
    Au premier mois de l’année, que donnerais-je à ma mie, une perdriole, deux
     perdrioles... Cela la calma, comme chaque fois que l’angoisse revenait,
     que le carrousel se mettait à tourner, que... une perdriole, deux
     perdrioles... Tout l’hiver, Hélène se morfondait à attendre la venue de
     l’été, période où la petite famille s’installait au chalet. Oui, trois ans
     déjà... Une perdriole, deux perdrioles... À force de faire comme si rien
     n’était arrivé, de refuser, au moment du sommeil, de se laisser envahir par les
     cauchemars, au prix de nuits agitées, d’heures d’insomnie, elle parviendrait à
     oublier... à être normale à nouveau. Comme avec Chapeau. En compagnie de
     l’Indien, tout devenait plus facile. Sans avoir besoin de pleurer, elle était
     consolée. Sans parler, elle était écoutée. Sans crainte du danger, elle était
     protégée. Sans expliquer ni rien cacher, sans jeu ni faux-fuyants, elle pouvait
     déposer sa tête sur l’épaule de Chapeau ou se promener, main dans la main, dans
     les sentiers de la forêt.
    — Viens avec moi, Hélène. Je vais désinfecter ta coupure avant de changer de
     vêtements, dit Isabelle.
    — En tout cas, la cousine, si t’as besoin d’une amputation, je peux me
     dévouer !
    — Ti-fin fin va, le rabroua Isabelle. Dévoue-toi donc plutôt à ramasser le
     dégât.
    — C’est comme si c’était fait ! répondit le jeune homme en regardant les deux
     femmes se diriger vers la salle de bain.
    Décidément, sa cousine était plus que farouche. Il l’avaittoujours connue timide, mais depuis quelques années, la jeune fille était
     devenue... comment dire...
    Tout en jetant les morceaux de verre dans la poubelle, Zoel cherchait le mot
     approprié. Il remarqua la présence de Chapeau et trouva le qualificatif qui
     convenait.
    « Sauvage », oui, sa cousine était rendue une vraie sauvage.

    — Et maintenant, le gâteau ! C’est Hélène qui l’a fait. C’est beau,
     hein ?
    Tous les convives s’extasièrent devant le dessert recouvert de glaçage blanc
     velouté, décoré de cœurs roses.
    — Une main d’applaudissements pour Hélène !
    La jeune femme rougit. Avec un sourire gêné, elle déposa le gâteau des anges
     sur la

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