Au pied de l'oubli
sur le groupe.
Gênée, Isabelle se demandait comment sauver la situation quand la sonnerie du
téléphone retentit à l’intérieur du chalet. C’était probablement l’appel
promis.
— Ah, ça doit être Yvette, supposa Isabelle.
Julianna s’étonna :
— Yvette, ma Yvette ?
— Allez, va répondre, la pressa Isabelle. Vite, avant qu’elle raccroche !
— Ma Yvette qui m’appelle de Montréal ! s’exclama Julianna, tout excitée.
Elle enfouit son fameux cadeau dans la poche de sa robe et se pressa vers le
chalet. La démarche mal assurée, elle parvint de peine et de misère à ne pas
trébucher sur les marches de bois brut de la galerie. Elle n’aurait pas dû
abuser de l’alcool. Mais sinon, à quelle source aurait-elle puisé la force de
passer à travers cette journée ? Elle poussa la porte-moustiquaire qui se
referma derrière elle en un claquement sonore. Elle courut pour atteindre le
téléphone avant qu’il ne perde patience et ne s’emmure dans un mutisme boudeur.
Elle décrocha le combiné et affermit sa voix :
— Allo, Yvette ?
L’interlocuteur était de toute évidence masculin et demanda à parler à Henry.
Julianna mit quelques secondes à accuser le coup.
— Allo, allo, y a quelqu’un ? fit l’homme.
— Oui, oui, fit Julianna en retrouvant ses esprits. Un instant,
je vous prie.
Déçue, elle retourna avertir Henry que le coup de fil lui était plutôt destiné.
À table, les conversations avaient repris entre le curé Duchaine, Georges et
Jean-Baptiste. Henriette avait sorti un tricot de son sac et montrait à Gertrude
et à Isabelle la perfection de son point d’ange. Son mari la fuyait du regard,
au contraire d’Yves qui la fixait d’un air victorieux, semblant se réjouir de la
tournure des événements. Dépitée, Julianna préféra ne pas rester. Elle attrapa
une assiette de gâteau qui n’avait pas trouvé preneur et décida d’aller l’offrir
à son fils Adélard, étendu au soleil.
— Fais-moi une petite place, mon grand, demanda-t-elle en s’asseyant au bout de
la chaise longue. Je t’ai apporté du dessert.
— J’ai vraiment pas faim.
La mère piqua la fourchette dans la pâtisserie et y goûta du bout des lèvres.
Adélard contemplait le lac.
— C’est beau hein, maman ? On jurerait des pierres précieuses, fit-il remarquer
en admirant le reflet du soleil sur l’eau.
Des pierres précieuses... Elle n’en verrait jamais de sa vie pour vrai, elle,
se dit Julianna en peinant pour avaler sa bouchée. Un porte-clés ! Elle n’en
revenait pas encore que son mari lui ait offert une simple breloque !
— J’aurais aimé ça connaître la maison de papa sur la Pointe, reprit Adélard.
Il nous en parlait souvent quand on était petits.
— Il n’en reste plus rien. Dommage... c’était une belle maison, avec le lac
Saint-Jean à nos pieds. J’en faisais, des jalouses, dans ce temps-là !
— C’était tout un cadeau de mariage de la part de papa !
« Rien à voir avec un porte-clés trente-cinq ans plus tard »,
pensa Julianna.
Un léger mal de cœur l’incommoda. Elle abandonna l’assiette de dessert sur le
sable et laissa passer la nausée avant de reprendre :
— Quand tu deviendras dentiste, tu auras assez d’argent pour te bâtir la plus
magnifique des demeures. Tu pourras gâter ta femme et lui donner de beaux
bijoux. Une femme aime en recevoir en cadeau. C’est peut-être une fille qui te
fait perdre l’appétit ?
Gêné que sa mère aborde le sujet de ses amours, Adélard rougit un peu. Son
teint de rouquin présentait ce désavantage.
— Après ton travail d’été, quand tu seras installé chez Yvette, tu découvriras
Montréal… et les petites Montréalaises.
— Avec mes études à l’université, j’aurai pas le temps de m’intéresser aux
filles.
— Qu’est-ce qui explique ta mine basse, d’abord ?
— Je suis juste fatigué. Je sais pas pourquoi… je pense souvent à Barthélémy de
ce temps-ci...
Le cœur de Julianna se serra. Barthélémy, son petit dernier, mort à trois
ans... Adélard garda les yeux rivés sur les flots. Son jeune frère, le bébé de
la famille, celui qui le suivait partout. Après le décès de Barthélémy, Adélard,
âgé de cinq ans à ce moment, s’était littéralement accroché à Zoel.
— C’est toujours bien supposé être la fête aujourd’hui !
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