Au pied de l'oubli
envisageait.
— Alors, François-Xavier, tu vois un peu ce que j’ai entête ?
Dessine-moi un grand salon avec un immense foyer de maçonnerie, et trois autres
chambres, une cuisine neuve, évidemment, et un solarium. Ah, et mon bureau. Si
je deviens ministre comme mon chef me l’a laissé entendre...
— C’est vrai ? Tu pourrais être nommé ministre ? s’écria Julianna.
— Il n’y a rien d’officiel encore. Vous n’ébruitez pas l’information,
d’accord ?
— Il faudrait pas qu’Yves en fasse les manchettes de son journal, dit Isabelle
en riant.
— C’est tentant, c’est tentant ! lui répliqua du même ton le journaliste.
— Mais non, intervint d’un ton doucereux Julianna. Yves ne profiterait jamais
de la situation. Surtout si je lui demande...
Julianna dépassait les limites. François-Xavier se renfrogna.
— De toute façon, rien n’est certain encore, reprit Henry.
— C’est mon mari qui refuse, dit Isabelle. Il se pense trop vieux.
— J’ai beau avoir une femme qui me garde jeune... J’ai l’âge d’être le
grand-père de mes enfants... Je veux profiter du temps qu’il me reste pour voir
grandir mon fils. Comme député, je peux espérer une couple d’années de bons
services, mais comme ministre, je passerais ma vie à l’Assemblée législative...
Enfin, ministre ou pas, je veux faire de cette cabane une vraie résidence
secondaire digne de ce nom. Évidemment, Jean-Baptiste, c’est ta compagnie de
construction qui s’occuperait de tout, à moins que tu aies d’autres
engagements.
— Vous êtes sérieux ?
Jean-Baptiste se mit à réfléchir. Depuis qu’il s’était lancéen
affaires, il n’avait signé que de petits contrats.
— Je vais bien vous payer, argumenta Henry. Aucune limite de coût ! Tu as toute
ma confiance, Jean-Baptiste. Je vais donner le feu vert pour un chemin
carrossable jusqu’au chalet. J’en reviens de transporter tous les bagages et
l’épicerie à pied. Tant qu’à y être, le terrassement sera refait aussi. Il y a
des arbres à couper, le vieux bouleau que je trouve dangereux et une belle
descente au lac. Que pensez-vous d’une gloriette ?
— On rit plus pantoute ! Ce sera plus un chalet, ça va être un château !
s’exclama Georges. Ça me rappelle les idées de grandeur de François-Xavier du
temps qu’on vivait sur la Pointe. Si vous aviez vu la bécosse qu’il s’était
bâtie… Le p’tit maudit, ç’avait pas d’allure ! C’était comme nos cabanes dans
les arbres quand on était jeunots...
Georges se tut, comme surpris lui-même par cet accès de bonne humeur, et l’air
songeur, plongea dans le silence. Étonné, François-Xavier regarda son
beau-frère. Ti-Georges, son ami d’enfance, celui avec qui il avait tant partagé.
C’était la première fois depuis bien des années que Georges évoquait le passé.
Maintenant, ils ne se fréquentaient que lorsque les obligations familiales les y
contraignaient. Et encore ! Il avait été surpris de le voir assister à la fête
d’aujourd’hui. Henriette avait dû le convaincre. Le remariage de Georges
s’avérait bénéfique. Avec espoir, François-Xavier sourit à son ami. Mais
celui-ci s’était emmuré de nouveau dans ce personnage endeuillé et taciturne
qu’il était devenu après le terrible drame...
— Vous oubliez que la spécialité de François-Xavier, ce sont les châteaux de
sable, évoqua Julianna avec méchanceté. Si tu ne veux pas te ramasser avec un
château à Noé toi aussi, tu ferais mieux de penser à un vrai architecte.
— Ben oui, Julianna, c’est de ma faute si la compagnie a monté
le lac ! se fâcha son mari.
Face à face, le couple semblait sur le point de s’arracher les yeux. Soudain,
Julianna changea d’attitude et émit un petit rire cristallin.
— Ah, et puis vous êtes trop ennuyeux... Moi, je vais marcher sur la plage,
dit-elle en se déchaussant. Qui m’aime me suive !
Seul Yves accepta l’invitation. Le visage fermé, François-Xavier regarda le
patron de sa femme se mettre pieds nus avant d’emboîter le pas à Julianna.
Enthousiaste, Jean-Baptiste examinait le chalet, réfléchissant, jaugeant les
travaux, puis déclarant, les yeux brillants :
— Si vous voulez un château, mononcle Henry, comme il avait toujours appelé
l’ami de la famille, vous pouvez vous fier sur moi !
Ce premier vrai
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