Au pied de l'oubli
pensées.
— Je suis pas tout seul à me lever de bonne heure, lui dit-il après l’avoir
saluée en retour.
— Dans ce coin de pays, les gens sont debout avant l’aurore. Sauf Timmy, il est
paresseux. Je dois le tirer du lit every morning. Ce n’est pas pour
parler de lui que j’ai voulu vous rejoindre sur la plage.
— Je sais...
— Ah oui ?
— Quand vous m’avez vu hier, votre réaction en disait long... dit
François-Xavier avec un léger haussement d’épaules.
— Votre ressemblance avec Patrick O’Connor m’a bouleversée.
— Vous l’avez bien connu, je suppose. C’était votre ancien voisin.
— Vous avez ses yeux.
— On marche un peu ?
— Of course.
— J’ai été adopté, tout petit, par Ernest Rousseau. Il a été le meilleur père
dont j’aurais pu rêver.
— Je n’étais pas au courant que Patrick avait eu un enfant...
— Il ne le savait pas non plus. Il avait déjà quitté ma mère avant... avant
qu’elle découvre son état.
— Et votre mère ? Quel était son nom ?
— Joséphine, Joséphine Mailloux.
L’Américaine s’immobilisa.
— Joséphine... of course, murmura-t-elle avant de
laisser fuser un joli petit rire.
François-Xavier la détailla. Quelle femme, naturelle, le regard pénétrant,
authentique ! Il était si facile de se confier à elle. La vérité lui avait
semblé si simple à dire. Ils reprirent leur promenade.
— Elle était jeune fille et habitait à Chicoutimi, seule avec son paternel. Un
marin irlandais a débarqué au port, bien malade...
— Oh, je connais l’histoire. Patrick m’a tant parlé de sa Joséphine...
— C’est vrai ?
— Elle a été son grand amour... Comme j’en étais jalouse, monsieur
Rousseau !
— Ma mère était extraordinaire. Elle a travaillé à l’orphelinat où j’étais pis
après mon départ, elle a trouvé le moyen de me suivre. Elle s’est fait engager
comme femme de maison chez mon père adoptif qui était rendu veuf.
— Jamais Patrick n’a eu vent de sa paternité ?
— Jamais. Et ma famille ne le sait pas non plus. Pour Pierre, Patrick O’Connor
était son boss à Montréal pour qui il avait beaucoup d’affection.
— Maybe Patrick avait deviné. Il a donné La Joséphine à
Pierre.
— Non, je pense pas... Ils s’aimaient bien tous les deux, mais sans plus.
— Peut-être parce qu’ils étaient roux... Ils se sont reconnus.
— Vous savez, Miss Harrington, rien ne ressemble plus à un Irlandais qu’un
autre Irlandais ! Pis sur le port de Montréal, y en avait à la pelletée, des
cheveux rouges !
— Toute une histoire ! Patrick était le grand-papa de Pierre...
— Oui, et l’arrière-grand-père de Dominique.
— It’s crazy… Allez-vous dire la vérité à Pierre ?
— Je pense pas...
François-Xavier regarda l’horizon. Il avait tout fait pour oublier ce mauvais
tour que la vie lui avait joué en étant abandonné à la naissance. Il refusait
ses origines irlandaises. Il niait l’émotion qu’il avait ressentie à
l’enterrement de Patrick O’Connor. Il refoulait l’élan qu’il avait eu d’aller
poser sa main sur le vieux visage ridé afin d’y retrouver le sentiment
d’appartenance. À son tour, François-Xavier s’arrêta un moment de marcher.
— Parlez-moi de lui, Miss Harrington.
— Notre promenade risque de vous amener plus loin que vous ne l’auriez cru,
monsieur Rousseau...
— C’est exactement ce que j’espère...
François-Xavier n’était pas le seul à n’avoir guère dormi cette nuit-là ni à
s’être levé à l’aube. Derrière la maison, assis au fond de son bateau, Pierre
réfléchissait. Par sa faute, il avait rendu Mélanie malade. Son orgueil avait
été démesuré. Monsieur débarquait en Gaspésie et, sans songer aux conséquences,
obligeait sa petite famille à vivre dans des conditions inimaginables ! Jamais
Mélanie ne s’était plainte. Pourtant, il avait remarqué son épuisement, ses
soupirs. Il avait préféré les ignorer. Égoïste, il s’était plu à se déguiser en
pêcheur, chevauchant la mer, se trouvant mille excuses pour ses maigres prises.
Au fond, ce n’était tout simplement pas sa place. Il le savait depuis le tout
début. Entêté, il avait continué d’embarquer sur La Joséphine pour se
laisser griser par le vent. Poussé par son besoin de liberté, il avait négligéses
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