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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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avoir un déjeuner sur la table.
    — Pour bien commencer la journée, tu pourrais m’embrasser…
    — Non, non, j’ai pas le temps pour ces folies, s’écria Jeanne-Ida en sortant du
     lit.
    En souriant calmement, Jean-Marie se leva à son tour et la reprit de force dans
     ses bras. Amoureusement, il la menaça :
    —  Ma Jeannou, tu sais que ça sert à rien de te sauver... que j’arrive
     toujours à mes fins…
    Il joignit le geste à la parole et l’embrassa.
    Quand il la relâcha, Jeanne-Ida en tituba de faiblesse. Son mari possédait sur
     elle une telle emprise que cela la choquait.
    C’était ainsi qu’il l’avait conquise. Dès leur première rencontre sur le bord
     de la route, le jour maudit quand Mathieu s’était enfui sans l’avertir. Elle
     était si en colère ! Afin de l’apaiser, Jean-Marie l’avait maintenue entre sesbras. Déjà, elle avait ressenti cette puissance qui
     l’englobait. Ce n’était pas physique. C’était beaucoup plus complexe que cela.
     Jean-Marie la sécurisait. Elle avait l’habitude de se rebiffer, de repousser les
     limites des gens, de ses prétendants surtout, de les provoquer jusqu’à ce que
     ces pauvres hommes, à bout, la quittent. Ensuite, elle pouvait blâmer le ciel et
     tous ses saints d’avoir été rejetée. Jean-Marie avait été le premier à refuser
     d’embarquer dans ce manège inconscient qu’elle s’était forgé. Installé à
     Normandin, Jean-Marie avait commencé, sans tarder, à la courtiser. Dès le début,
     cela avait été clair que peu importe ses rebuffades, il n’abandonnerait pas.
     Avec lui, les règles du jeu avaient changé. Une après l’autre, Jeanne-Ida avait
     décliné toutes les invitations au cinéma ou à une promenade ou à sortir boire
     une liqueur… Tous les prétextes inimaginables y étaient passés. Il revenait à la
     charge, le lendemain, le surlendemain, la semaine suivante. Jeanne-Ida lui
     fermait la porte au nez. Et ainsi de suite. Plus Jean-Marie insistait, plus
     Jeanne-Ida le rabrouait. Impolie, arrogante, elle opposait un non catégorique à
     toutes ses offres. Cela ne semblait jamais affecter son soupirant. D’un air
     impassible, il s’en retournait avant de réapparaître, quelques jours plus tard,
     avec une nouvelle invitation.
    — Donne-moi une bonne raison, avait-il demandé.
    — Jamais je vais sortir avec un… vieux moine. Il avait éclaté de rire.
    — Moine, je ne le suis plus. Vieux, peut-être bien. Si pour toi, trente-cinq
     ans, c’est vieux… et je te jure que je sens mon cœur battre comme jamais pis que
     je suis plein de vitalité.
    — Je… je… ben d’abord, pas avec un infirme certain !
    Nullement touché par cette remarque, il lui répondit :
    — Si tu penses me blesser avec cette histoire de boitage… Ça
     fait longtemps que j’ai fait la paix avec ma jambe folle. Tu vas devoir trouver
     autre chose.
    — Jamais… avec… avec un… fauché !
    — Je te l’ai pas dit ? La ferme expérimentale m’a engagé. Mes compétences
     acquises chez les trappistes les ont impressionnés. Je suis à l’avant-garde des
     méthodes d’agriculture. Je serai également apiculteur. T’auras beau creuser ta
     jolie petite tête, tu pourras jamais dénicher un meilleur mari que moi, Ma
     Jeannichou.
    — Je t’interdis de m’appeler de même !
    —  Ma Jeannichou ... comme tu vas être belle sous la neige... Quand on va
     se marier au mois de décembre prochain...
    Et Jeanne-Ida avait rendu les armes. Elle n’avait plus à déclarer la guerre à
     la vie.
    Amoureusement, Jeanne-Ida regarda son mari.
    — Toi, j’te jure, t’aurais dû rester chez les trappistes !
    — Imagine comment tu serais malheureuse sans moi…
    — Bernard, lâche le chat ! Maman t’a déjà dit plusieurs fois que tu pouvais te
     faire griffer !
    — Viens mon gars, papa va te monter jusqu’aux étoiles !
    Jean-Marie prit son fils en équilibre sur la paume de sa main et le souleva au
     plafond. Habitué à ces jeux avec son père, Bernard n’éprouva aucune crainte. Il
     avait une confiance aveugle en son père. Rien ne pourrait jamais lui arriver.
     C’était exactement ce que Jeanne-Ida ressentait avec son mari. Elle était à
     l’abri de tout, surtout d’elle-même...
    — Redescends-moi ce bonhomme sur la terre. Il est l’heure de s’habiller.
    — Allez, hop, en bas !
    — Encore ! quémanda l’enfant.
    — Non, c’est assez, dit

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