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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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secrets... A l’avait pu toute sa tête, a
     m’avait battu si fort, j’en ai perdu la parole. Je prenais ma croix de bois...
     celle que mon père m’avait offert, que son propre père avait sculptée, celle que
     je t’ai donnée... Tu l’as encore, j’espère ?
    — Certain ! Elle est ben rangée dans une boîte. Elle est tellement vieille,
     elle a presque plus de brillant.
    — C’était rien que de l’or des fous... Ça a jamais été son apparence qui la
     rendait précieuse et pourtant elle l’était. Quand tombait la nuit, je la prenais
     avec moi, je marchais sur la pointe des pieds pis je m’étendais de tout mon long
     par terre, mon visage collé sur le grillage de fer. Pis mon père Ernest se
     berçait en égrenant son chapelet. Je me sentais en sécurité.
    Pierre se détendit. Il ne comprenait pas trop où son père
     voulait en venir en lui racontant ses souvenirs d’enfance, mais l’entendre lui
     faisait du bien. L’arrivée de ses parents, la fausse-couche de Mélanie, son
     bateau en cale sèche, le manque d’argent, l’avenir difficile... Une autre vague
     de désespoir l’envahit. Las, il se frotta les tempes.
    — Ton grand-père, continua François-Xavier, il a ben souffert. Je l’ai vu
     arrêter de se bercer, je l’ai vu sacrer un coup de poing sur l’accoudoir de sa
     chaise... je l’ai même vu pleurer.
    Pierre écoutait, les yeux mi-clos.
    — Sa peine durait pas longtemps. Il recommençait à réciter son chapelet.
     Parfois, il se mettait à chantonner. Pis ça me prenait tout mon petit change
     pour me relever et me traîner jusqu’à mon lit. J’te jure qu’après deux secondes,
     je dormais ben dur.
    François-Xavier se pencha plus près de son fils et lui mit une main
     réconfortante sur l’épaule en lui disant :
    — Le découragement, c’est ben normal...
    — Je le sais pas, quoi faire... J’ai pas une cenne qui m’adore.
    — On va t’aider, Pierre.
    — Il faudrait que je me trouve une bonne job.
    — Tu penses pas des fois à t’en revenir par chez nous ? Ta mère pis moi, on
     serait ben contents de vous avoir plus proches. Je suis pas mal certain que tu
     pourrais travailler dans la compagnie de ton frère Jean-Baptiste.
    — Ah, papa, c’est ben sûr que l’idée de repartir au Saguenay m’a trotté dans la
     tête. C’est pas facile de tout abandonner... de recommencer...
    — Ça se fait, j’en suis la preuve vivante.
    Pierre se leva.
    — J’vas aller voir si Mélanie est correcte.
    — Je reste veiller encore un peu, si ça te dérange pas.
    — Montez quand vous voudrez.
    — Bonne nuit, mon grand.
    — Bonne nuit, papa. Pis demain, j’vas prendre des décisions. Le découragement,
     c’est peut-être ben normal... mais il vient un temps où il faut se remettre à se
     bercer. Comme grand-papa Rousseau faisait... J’ai bien compris votre histoire,
     papa ?
    — T’as bien compris, mon fils, t’as bien compris.

    Seul devant l’immensité de l’océan, François-Xavier réfléchissait à tout ce qui
     s’était passé la veille. En tant que parents, Julianna et lui devaient agir. Il
     avait jonglé toute la nuit. Quel sentiment étrange de se retrouver dans cette
     maison ayant appartenu à Patrick O’Connor, son père biologique. Tout se
     bousculait dans sa tête. Sa merveilleuse réconciliation avec sa femme après des
     mois de tension, les retrouvailles avec Pierre et la découverte de ses
     difficultés, la maladie de Mélanie... À l’aurore, n’en pouvant plus, il s’était
     éclipsé sans bruit et avait traversé la rue pour aller marcher sur la plage.
     Prenant une grande inspiration, il se gorgea d’air salin. Il plissa le nez. Il
     n’appréciait guère cette odeur de... comment Pierre l’avait nommée déjà ? ah
     oui, de varech. On aurait dit de l’eau pourrie... Son attention fut attirée vers
     deux pattes de crabes que les vagues rejetaient sur la grève. À croire que la
     mer recrachait les restes indigestes d’un mauvais repas... Étrangement, au lieu
     de l’apaiser, l’océan l’angoissait. Trop immense, trop bruyant, trop puissant...
     Il avait l’impression d’être prisonnier de ses limites sablonneuses. Unebarrière infranchissable. Il préférait nettement son lac
     Saint-Jean. Plus familier, plus simple, plus accessible...
    —  Good morning, monsieur Rousseau.
    François-Xavier sourit à l’Américaine qui venait de le surprendre, perdu dans
     ses

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