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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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hommes, décontenancés, se
     lancèrent un regard dérouté. D’un commun accord, ils s’assirent à la table. Sur
     les genoux de Pierre, Dominique se mit à sucer son pouce,l’index enroulé autour de son petit nez. François-Xavier sourit à son
     petit-fils. Pierre jetait des coups d’œil nerveux à l’étage.
    — C’est une camionnette comme la tienne que ça prend dans ce pays, si tu veux
     pas t’enliser… commença François-Xavier afin de meubler le silence.
    — Comme ça papa, votre automobile est pas brisée ? demanda Pierre d’un air
     distrait.
    — J’entendais un drôle de bruit quand je t’ai suivi... lui répondit
     François-Xavier du même ton.
    — Ah...
    — J’ai rien trouvé. Probablement du gravier qui frottait sur l’essieu.
    — Tant mieux...
    — Alors, mon fils, tout va à ton goût ?
    François-Xavier réalisa la stupidité de sa question. Pierre ne releva pas. Au
     contraire, il lui demanda :
    — Avez-vous vu le rocher Percé ?
    — Pas vraiment...
    — Ah.
    François-Xavier prit son paquet de cigarettes dans sa poche de chemise et en
     tendit une à Pierre. Avec le carton d’allumettes provenant du motel, il alluma
     les petits cylindres blancs.
    — C’est des roulées que je roule moi-même, expliqua François-Xavier.
    — Je fais pareil, ça coûte moins cher.
    Une bouffée de cigarette…
    — Moi, j’ai jamais été capable de porter la barbe. Trop de trous.
    — Des trous ?
    — Des places où ça pousse pas. Tu tiens pas de moi certain. La tienne est ben
     fournie.
    — Ça garde au chaud le matin sur le bateau.
    Une bouffée de cigarette, un coup d’œil à l’étage...
    — Pis la pêche ?
    — Pas fort.
    — Ah.
    Une bouffée de cigarette, un coup d’œil à l’étage, un tapement de pied...
    — Ta maison a une belle vue sur la mer.
    — Ben, c’est pas le grand luxe.
    — Ouais, mais si vous êtes heureux dedans...
    — On se débrouille pas pire.
    Une bouffée de cigarette, un coup d’œil à l’étage, un tapement de pied, un
     raclement de gorge...
    — Pis le reste de la famille, ils vont bien ?
    — Tout le monde est en forme... Ton frère Jean-Baptiste va construire une
     maison neuve pour Henry.
    — Ah.
    — Pis je travaille avec lui astheure. Je fais les plans.
    — Grosse nouvelle ! Vous êtes plus à la fromagerie ?
    — Non, pis je m’en plains pas.
    Sur le coin de la table, une vieille boîte de conserve servait de cendrier.
     Après une dernière bouffée, les fumeurs y écrasèrent leur cigarette.
    — En tous les cas, c’est une bonne trotte, la Gaspésie, dit
     François-Xavier.
    Enfin, ils entendirent le bruit de la porte de la chambre qui se rouvrait. Les
     deux hommes attendirent anxieusement, le regard rivé au haut de l’escalier.
     Julianna apparut.
    — Monte, Pierre, ordonna-t-elle.
    Sans demander l’accord de son père, Pierre lui transféra Dominique sur les
     genoux. Il gravit les marches quatre à quatre. Il passa à côté de sa mère qui se
     contenta de lui fairesigne d’aller retrouver Mélanie. Julianna
     descendit rejoindre son mari.
    À son tour, elle s’assit.
    — Il faut qu’on parle, dit-elle. Ça ne va pas ici, non, ça ne va vraiment
     pas.

    La nuit était tombée. Les lampes à l’huile étaient allumées. S’agitant à peine,
     leurs flammes semblaient respecter la tristesse du soir. Dominique était au lit,
     couché avec son nouveau ballon dont il ne voulait plus se séparer. Retirée dans
     sa chambre, Mélanie ne dormait pas. De longues larmes coulaient lentement sur
     ses joues au même rythme que le sang entre ses jambes. Assis autour de la table
     de cuisine, à voix basse, Pierre et ses parents discutaient.
    — Ma pauvre Mélanie...
    — Ta petite femme n’a pas la santé pour vivre dans de telles conditions ! dit
     Julianna.
    — Pourquoi tu nous as pas mis au courant ? lui reprocha François-Xavier. On
     t’aurait aidé !
    Pierre garda le silence.
    — Je pensais t’avoir élevé pour avoir un peu plus de génie... continua
     Julianna. J’en reviens pas encore. Mon propre fils, réduit à l’état de misère !
     C’est pire que les plus pauvres des plus pauvres dans le temps de la
     crise !
    — Maman, faut pas exagérer, se défendit Pierre. Demain, à la clarté, s’il fait
     soleil, vous allez voir comment c’est magnifique par ici : la mer, le
     ciel...
    — C’est pas la beauté du paysage qui donne du pain sur la

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