Au pied de l'oubli
chalet.
— Ben voyons !
— J’avais l’impression d’un petit refuge que les enfants pouvaient salir.
— Tu es trop gâtée, Isabelle. Tu n’apprécies plus ton bonheur.
— Henry ne connaît même plus la signification de cemot. Le
seul dans son vocabulaire maintenant c’est travail, travail, travail...
Isabelle descendit de l’escabeau. La mère de famille regarda par la grande baie
vitrée du salon. Ses trois enfants étaient toujours affairés à construire leur
fort de neige. Rassurée, elle tendit à Hélène l’étoile du berger.
— Tiens, range-la, pis va préparer du Quik pour tout le monde.
— Du café pour moi, dit Julianna, qui détestait la poudre chocolatée diluée
dans l’eau chaude.
Hélène obéit et se dirigea vers la cuisine. Avant de s’installer dans le
fauteuil voisin de Julianna, Isabelle ajouta une bûche dans le foyer.
— C’est gentil de passer la journée avec moi.
— Jean-Baptiste avait un client de Roberval à rencontrer. J’en ai profité pour
embarquer avec lui.
— Ça se parle vite dans le bout. Y a plein d’écornifleux qui font le détour
pour venir voir le nouveau chalet. Jean-Baptiste manquera pas de contrats. Il
faut dire qu’Henry le réfère à tout le monde.
— Est-ce qu’Henry reste longtemps à Québec ? demanda Julianna.
— Non, non, c’est un voyage aller-retour.
— Le 3 janvier, qu’est-ce qu’y avait de si important ?
— C’était la fête d’anniversaire d’un collègue.
— Tu ne l’accompagnais pas ?
— Non...
— Vous vous êtes disputés ? se douta Julianna.
La mine renfrognée, Isabelle confirma la réponse.
Julianna rassura son amie.
— Allons, Isabelle, ça ne doit pas être si grave.
— Ben non, c’est pour ça que je m’en veux.
— C’était par rapport à quoi ?
— Depuis les élections, c’est plus pareil. Je suis pas à l’aise dans son monde
politique !
— Ta place est quand même à ses côtés.
— Si tu assistais à ces rencontres, tu comprendrais. Je voulais qu’il reste
avec moi pis les enfants. Nos vacances du temps des Fêtes, c’est sacré.
— C’est grâce à son travail que tu as tout ce luxe, lui fit remarquer
Julianna.
— Ça paraît bien beau, un château sur le bord de l’eau ou une grande maison à
Québec, mais quand tu es tout seul dedans, y a rien de drôle, j’te jure.
— De là à te plaindre… Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Je le sais pas, Julianna. J’étais à bout, je lui ai crié après avant qu’il
parte. Je lui ai dit de rester à Québec…
— Henry va revenir, je suis certaine. Vous allez vous réconcilier.
— J’me comprends pas de ce temps-ci. Je me sens inutile.
— Pourtant, trois enfants, épouse d’un politicien, tu ne dois pas chômer.
— Je m’ennuie de mon travail d’infirmière. Une chance qu’Hélène habite avec
nous parce que passer la journée à converser avec les petits, j’en peux
plus.
— En parlant d’Hélène, je la trouve bien lunatique.
— T’as remarqué ? Moi aussi, je m’inquiète. Cet été, elle était transformée. Je
croyais que la page avait été tournée... Astheure, elle a tout le temps l’esprit
ailleurs.
— Il y a quelque chose qui la chicote certain. Je vais la questionner
tantôt.
— Si tu veux... répondit Isabelle d’un ton indifférent.
— Arrête de penser à Henry !
— Je lui ai piqué une vraie crise de nerfs ! Sans raison !
— Tu es peut-être juste fatiguée. Tu as reçu sans arrêt les
deux dernières semaines. Je savais qu’on n’aurait pas dû venir à Noël. Surtout
qu’on n’avait pas le cœur à fêter...
Julianna sentit les larmes lui monter aux yeux. Il lui était difficile de se
remettre du choc de la mort accidentelle de Zoel. Oh, elle avait repris ses
activités journalières, les costumes du carnaval, les rencontres avec le comité,
les soupers en famille. Elle berçait ses petits-enfants et riait de nouveau.
Seulement, une fragilité émotive habitait désormais le milieu de sa poitrine.
Craintive, elle marchait en se demandant à chaque instant si le sol n’allait pas
se dérober sous ses pas.
— Julianna, je te raconterai plus rien si tu répètes des énormités de même. On
a eu un beau réveillon, non ?
— Oui, tu as raison. J’t’ai pas dit la meilleure ? s’exclama soudain
Julianna.
— Non, quoi ?
— C’est Henriette
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