Au pied de l'oubli
tes nouvelles souvent, reprit-elle.
— Vous savez ce que c’est, le travail, ma poésie… je ne vois pas le temps
passer.
— Quand même, tu pourrais faire un effort. Promets-moi. S’il fallait qu’il
t’arrive quelque chose, toi aussi. Tu vois comment la vie ne tient pas à
grand-chose. Je ne veux plus que tu nous négliges !
— D’accord.
— T’es mieux de tenir ta promesse, mon petit gars, parce que je suis encore
capable de monter à Montréal pis d’aller te tirer les oreilles !
— J’en doute pas, maman.
— Et ta musique ? Tu composes toujours ?
— Un peu… Je viens de terminer un hymne à la vie…
— J’aurais dû garder mon piano, j’aurais aimé t’entendre…
— Je n’ai jamais compris que vous vous en soyez débarrassé, dit Mathieu avec
une note de désapprobation.
L’instrument avait tant représenté pour lui. Combien de fois, enfant,
s’était-il levé en cachette pour aller simplement poser ses mains au-dessus du
clavier ?
— Il prenait tellement de place ! Je l’ai prêté aux sœurs du couvent. Je n’ai
jamais eu la chance de ravoir une maison à moi… Et le meuble de télévision,
c’est pas petit non plus !
— Il y a un piano où je travaille. Je joue dessus quand je peux…
— Ne pas avoir d’instrument chez toi ne doit pas t’aider à composer.
— Pas vraiment, non, répondit-il sarcastique. Surtout qu’Yvette et Vincent
monopolisent celui de la librairie, ajouta-t-il.
Julianna cacha un sourire. Elle venait d’avoir l’idée d’unbeau
cadeau à offrir à Mathieu. Bientôt, il aurait la surprise de recevoir une grosse
livraison chez lui…
— J’ai hâte de rencontrer ce Vincent dont tu me parles tant, dit Julianna à sa
fille.
— Il désirait m’accompagner, mais je n’ai pas voulu.
— Ma sœur fait son indépendante.
— On va se reprendre... en d’autres occasions plus joyeuses, promit
Yvette.
Elle enchaîna :
— Je vous ai pas dit, maman, qu’on avait eu un premier contrat ? Pour le mois
de décembre prochain, on fait notre numéro dans une boîte à chansons de
Montréal !
— C’est une bonne nouvelle.
— J’aimerais me trouver un nom de scène. Yvette Rousseau, c’est démodé…
— Ben voyons ! fit Julianna.
— Je sais pas à quoi vous avez pensé des fois en nous baptisant ! dit
Yvette.
— Pourquoi ? Pierre, Laura, Mathieu, c’est beau ! s’offusqua sa mère.
— Vers les derniers, ça s’est gâché un peu, intervint Adélard en se joignant à
eux. À l’université, je demande à mes amis de m’appeler Dédé.
— J’ai choisi ton nom en l’honneur d’Adélard Godbout ! se récria
Julianna.
— Tout un honneur à porter… dit-il. Mais Zoel, c’était encore pire que moi ! Au
séminaire, il se faisait tellement agacer ! Pis Zoel, vas-tu au Zoo de Québec à
Noël !
Leurs rires s’éteignirent rapidement, laissant la place à la tristesse.
— Passe-moi la boîte de Kleenex, demanda Julianna en reniflant.
Mathieu lui tendit les papiers-mouchoirs.
Les yeux dans le vide, Adélard murmura :
— Si un jour j’ai un fils, je vais l’appeler Zoel. Pis Zoé, si c’est une
fille.
— Tu nommeras tes enfants comme tu voudras… lui répondit Julianna. Mais pour
honorer la mémoire de ton frère, sois un bon dentiste et profite de chaque
moment de ta vie avec bonheur. C’est ce que Zoel voudrait. Il était si plein de
joie.
— Je vous le promets, maman.
— Astheure, laissez-nous entre filles.
Adélard et Mathieu embrassèrent leur mère et repartirent à la cuisine. Le plus
jeune se réinstalla à la table. Mathieu hésita. Il y avait une partie de lui qui
était heureuse de revoir les membres de sa famille. De l’autre côté, il
n’aspirait qu’à retourner à Montréal. Il avait été un peu déçu de l’absence de
Jeanne-Ida. Il avait espéré et craint en même temps qu’elle assiste aux
funérailles. Dans le fond, ce n’était pas plus grave que cela. Dans ses rêves,
maintenant, le visage d’Annette se superposait à celui de son ancienne flamme.
Il pria pour qu’Annette consente à le revoir. En lui disant bonne nuit le soir
de leur rencontre, il n’avait pas osé l’embrasser malgré l’envie qui le
tenaillait. Saurait-il lui plaire ? Il devrait peut-être songer à imiter Vincent
et à lui écrire un poème par jour ! Il regarda son frère Pierre.
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