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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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leur assiette de
     sandwiches d’une main et de l’autre, leur verre de liqueur ou de punch.
     Plusieurs en renversèrent sur le tapis tandis qu’ils se laissaient emporter par
     leurs conversations. Combien de fois François-Xavier entendit-il une version de
     l’accident ayant coûté la vie à son fils ? Toujours avec un détail ajouté,
     modifié ou carrément inventé. François-Xavier retourna dans la chambre à
     coucher. Une pile de manteaux y créait une montagne grisâtre et laineuse. Il
     alla à la fenêtre contre laquelle il déposa son front, portant son regard en
     direction du cimetière. Derrière lui, la porte s’ouvrit et se referma. Il
     soupira. Qui le dérangeait ?
    — Je suis venu prendre quelque chose dans mon manteau, expliqua Georges en
     fouillant dans la pile.
    Trouvant le pardessus qui lui appartenait, il extirpa d’une des poches une
     poignée de ses bonbons favoris. Il en offrit un à François-Xavier. Hochant la
     tête, celui-ci refusa avant de revenir à sa contemplation.
    — C’est-tu normal que j’aie envie de tout casser ? murmura François-Xavier, les
     yeux dans le vide.
    Georges vint vers lui.
    — Donne ta colère à Dieu.
    — Il y a longtemps qu’il n’y a plus d’échange entre Lui pis moi,
     répondit-il.
    Georges sourcilla. Il enfourna une de ses peppermints et rétorqua d’un
     air narquois :
    — Si je me souviens bien, c’est moi qui avais bien des raisons de le
     bouder.
    François-Xavier regarda son beau-frère. Celui-ci avait repris son air supérieur
     des dernières années. Comme s’il portait fièrement une perpétuelle couronne
     d’épines qui le proclamait roi de la souffrance ! Toujours ce drame qui les
     hantait, ces pierres tombales, alignées l’une après l’autre, qui formaient une
     muraille d’incompréhension... Non, une réelle brèche s’était ouverte ces
     derniers jours. François-Xavier désirait l’élargir.
    — J’vas te prendre un bonbon, en fin de compte, dit-il.
    En silence, les deux hommes sucèrent leur pastille de menthe.
    — Ce printemps, reprit François-Xavier d’un ton empreint de tristesse, mais
     avec une certaine note de joie, on devrait se payer une belle partie de pêche,
     juste tous les deux, sur le lac. Que c’est que t’en penses ? insista-t-il devant
     le silence de son beau-frère.
    — J’en pense que je vas te sortir la plus grosse ouananiche que t’auras jamais
     vue !

    Enfin, le calme revint dans le logement. Seule au salon, Julianna retira ses
     souliers noirs. Dans la cuisine, ses enfants discutaient entre eux. Elle
     saisissait quelques bribes de leurs conversations. Ils se racontaient encore des
     souvenirs deZoel. Cependant, ils parlaient également d’avenir
     et de leurs projets. Le rite de passage avait eu lieu. Ces derniers jours, ils
     avaient dit adieu à Zoel, comme il se devait, avec dignité, avec soutien.
     C’était bien. Soudain, Mathieu et Yvette apparurent à l’entrée du salon, une
     lueur d’inquiétude dans le regard. Ils s’en faisaient pour elle. Elle avait tant
     pleuré… Elle les rassura d’un sourire.
    — Venez donc trouver votre vieille mère, tous les deux, leur dit-elle en
     tapotant les coussins du divan de chaque côté d’elle. Je vous vois tellement pas
     souvent.
    Mathieu prit place dans un fauteuil. Yvette préféra s’asseoir par terre, aux
     pieds de sa mère.
    — Toi, Mathieu, est-ce que tout va comme tu veux ?
    — Oui, maman, lui répondit-il avec sa retenue habituelle.
    Julianna l’étudia attentivement. Il y avait une lumière dans le regard de son
     fils, celle qu’une femme reconnaît.
    — Est-ce que mon Mathieu ne serait pas enfin amoureux ?
    Étonné que sa mère ait lu des sentiments en lui alors que sa rencontre avec
     Annette datait d’à peine quelques jours, Mathieu perdit tous ses moyens et
     bredouilla :
    — Que… comment…
    Yvette émit un léger rire.
    — C’est rare que tu trouves pas tes mots !
    — C’est une très gentille fille, maman, dit Mathieu ayant repris
     contenance.
    — Tant mieux, mon grand. Je commençais à désespérer.
    Julianna se demanda si cette Annette apporterait enfin le bonheur à son fils.
     Au fond d’elle-même, elle en doutait. Mathieu avait toujours été si… sombre.
     Peut-être était-ce son âme d’artiste ? N’avait-on pas enfermé Émile Nelligan ?Est-ce que tous les poètes sont condamnés à la
     tourmente ?
    — Tu ne donnes pas de

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