Aux armes, citoyens !
soit de l’Inde, soit
d’ailleurs ».
Et Talleyrand suggère que cette entreprise soit confiée au
général Bonaparte.
Moyen commode de l’éloigner, de l’enliser dans les sables de
l’Orient, en paraissant lui offrir une nouvelle gloire alors que chacun pense
qu’il s’agit là d’une victoire impossible, à supposer même que l’on réussisse à
traverser la Méditerranée, en échappant à la flotte anglaise.
Bonaparte n’ignore rien des intentions du Directoire.
Mais, dit-il :
« Je ne veux pas rester ici. Il n’y a rien à faire. Les
Directeurs ne veulent entendre à rien. Je vois que si je reste je suis coulé
dans peu. Tout s’use ici. Je n’ai déjà plus de gloire, cette petite Europe n’en
fournit pas assez. Il faut aller en Orient, toutes les grandes gloires viennent
de là. »
Il dicte ses conditions aux Directeurs : autorité
illimitée, faculté de nommer à tous les emplois, droit d’opérer son retour en
France quand il le voudra…
Le 15 ventôse (5 mars 1798) le Directoire décide une
expédition en Égypte, en donne le commandement à Napoléon Bonaparte, aux
conditions qu’il a fixées.
Bonaparte va quitter Paris, la France. On cessera d’entendre
son sabre traîner sur le sol.
Et qui peut croire qu’il échappera au piège que viennent de
lui tendre les Directeurs et son imagination ?
33.
Bonaparte sait que les Directeurs souhaitent que l’Égypte
soit son tombeau.
Ils veulent conserver à tout prix le pouvoir face à une
opinion qui les rejette et qu’ils craignent d’autant plus que le 9 avril 1798 (20
germinal an VI) les assemblées électorales vont se réunir pour renouveler plus
de la moitié du Corps législatif, quatre cent trente-sept députés sur sept cent
cinquante.
Barras, habile politique au flair aiguisé, sent bien la
force du mouvement de rejet qui monte du pays.
On veut « crever les ventres pourris ».
On crie « Sus à la corruption ».
On crache avec fureur quand on entend prononcer le nom de
Barras, de Merlin de Douai.
On dit que ce dernier entretient un harem de demoiselles.
Que Reubell, entouré de fripons, se gave.
Que La Révellière-Lépeaux n’est qu’un tartuffe avec sa
religion théophilanthropique, dont il est le bigot.
Et le nouveau Directeur – il remplace François de
Neufchâteau – Treilhard, un conventionnel régicide, est une brute enrichie.
Les ministres sont aussi corrompus que les Directeurs.
Ramel n’est au ministère des Finances que le serviteur des
nouveaux riches, l’homme dont la banqueroute des deux tiers a ruiné les
rentiers.
Talleyrand est une « pourriture », ses salons des « latrines
publiques ».
Il a été dénoncé devant le Congrès des États-Unis par le
président John Adams pour avoir essayé d’extorquer à des envoyés des États-Unis,
arrivés à Paris pour négocier, d’énormes pots-de-vin. Les Américains ont refusé,
regagné les États-Unis et averti le président Adams.
Mais Talleyrand continue de se pavaner dans son hôtel de
Galliffet.
Barras s’inquiète.
Les électeurs peuvent, en dépit de leurs différences, se
coaliser, élire des « anarchistes » ou des royalistes. Et s’ils
obtiennent la majorité aux Conseils des Cinq-Cents et des Anciens – Barras le
craint –, ils renouvelleront les Directeurs.
Adieu le pouvoir ! Adieu le luxe et les femmes, l’argent
et la soie ! Adieu, les agapes chez les restaurateurs du Palais-Royal !
Et c’est pour empêcher que cette « coalition »
anarchiste et royaliste ne se donne pour chef Bonaparte, le général capable de
séduire et d’entraîner le peuple, qu’on souhaite le voir s’éloigner au plus tôt,
en espérant qu’il sera enseveli dans l’une de ces pyramides qui sont, dit-on, les
tombeaux des pharaons.
Bonaparte n’est pas dupe. Ce départ l’arrange.
Il ne veut pas être mêlé à un nouveau coup d’État, auquel, il
le devine, songent les Directeurs.
Le 1 er germinal an VI (21 mars 1798), ils ont
célébré avec faste la « fête de la Souveraineté du peuple », eux qui
ont réalisé le coup d’État du 18 Fructidor, mis en place cette terreur masquée
qui, petitement mais méticuleusement, écrase la nation, proscrit en Guyane, le
pays de la « guillotine sèche ».
Et, à peine la fête de la Souveraineté du peuple est-elle
achevée, qu’ils décrètent que les pouvoirs des nouveaux élus seront vérifiés… par
les députés sortants !
Ainsi,
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