Aux armes, citoyens !
que cela finisse n’importe
comment ! Tel est l’esprit public à Paris ; je crois bien qu’il est à
peu près le même partout dans les départements. La liberté sera bientôt au
diable. Aurait-on pu croire en 1789 que cela finirait ainsi ? »
Mais « la faim est factieuse ».
« Je n’ose vous rapporter, écrit Ruault, tous les
propos, tous les “maudissons” qui sortent des groupes, des longues queues qui
se forment tous les soirs, toutes les nuits aux portes des boulangers pour
obtenir après cinq ou six heures d’attente tantôt une demi-livre de biscuits
par tête, tantôt une demi-livre de mauvais pain, quatre onces de riz… »
On entend une voix rageuse dire dans la pénombre :
« Que le sang coule, celui des riches, des monopoleurs,
et des spéculateurs. Du temps de Robespierre la guillotine fonctionnait, on
mangeait à sa faim… »
Chacun sent que ce chaos ne peut plus durer longtemps, qu’il
faut en effet « en finir », que la violence montre son groin
ensanglanté.
Le 7 mai 1795 (18 floréal an III), le procureur du Tribunal
révolutionnaire de l’an II, Fouquier-Tinville, son président Herman et quatorze
jurés sont guillotinés.
Et la Convention se prépare à l’épreuve de force.
Elle réorganise la garde nationale, écartant les
sans-culottes au profit des jeunes gens « dorés », créant des
compagnies d’élite vêtues d’un uniforme spécial et armées à leurs frais.
Mais la Jeunesse dorée ne s’engage pas, abhorre la
discipline.
Et le journal thermidorien Le Messager du soir condamne « ces jeunes gens qui n’ont d’énergie contre les brigands et les
terroristes que dans les spectacles où ils sont assurés de pouvoir se prononcer
sans danger… ».
Il faut donc faire appel aux troupes régulières qu’un décret
autorise désormais à stationner dans la banlieue de Paris. Mais cavaliers, fantassins,
carabiniers sont peu à peu gagnés par l’atmosphère rebelle des faubourgs.
Les femmes les apostrophent :
« Vous mangez donc du pain des députés et des muscadins ?
Vous avez donc le ventre plein ? Donnez-nous du pain, et nous resterons
chez nous ! »
On fait appel à deux divisions de gendarmerie, qu’on tient
éloignées de cette « populace » qui corrompt les soldats les plus
résolus.
Et le climat se tend parce que l’incertitude règne, que la
peur d’être balayés par l’une de ces journées révolutionnaires qu’ils
connaissent bien pour y avoir participé jadis, ou en avoir souffert, étreint
les conventionnels.
Ils savent que le peuple les hait, jalouse leurs « ventres
dorés », méprise leurs « ventres pourris ».
La Jeunesse dorée elle-même n’est plus sûre, de plus en plus
pénétrée par les idées royalistes.
Quant à l’armée, elle est pour l’ordre républicain, et les
soldats mal nourris n’aiment ni les muscadins, ni les « ventres dorés ».
Il reste à faire appel au désir de vengeance contre les « terroristes ».
Isnard, un ancien Girondin, en mission dans les
Bouches-du-Rhône, où la Terreur blanche sévit, appelle au meurtre :
« Si vous n’avez pas d’armes, prenez des bâtons ! Si
vous n’avez pas de bâtons, déterrez les ossements de vos parents et frappez les
terroristes. »
Le 19 mai 1795 (30 floréal an III), cet appel qu’un inconnu
jette sur la scène du théâtre de la Gaîté lui répond :
Réveille-toi peuple de frères
Et frappe ces affreux tyrans
Qui sans pitié de ta misère
Te font languir, toi, tes enfants.
Réveille-toi je le répète
De la foudre, arme ton bras.
Elle gronde déjà sur leurs têtes
Et bientôt elle les écrasera.
Et la rumeur court d’une insurrection pour le lendemain, 20
mai 1795,1 er prairial an III.
Et en effet, le tocsin sonne dès cinq heures du matin, ce 1 er prairial. Des femmes courent dans les rues, entraînant d’autres femmes, entrant
dans les maisons et les ateliers, interpellant celles qui hésitent, comme cette
artiste de l’Opéra-Comique, la citoyenne Gonthier :
« Viens Gonthier, si tu es bonne citoyenne, viens avec
nous. Tiens regarde, mon enfant, au lieu de lait, ne tire plus de mes mamelles
que du sang ! »
À dix heures une troupe de quatre cents femmes, précédées de
tambours qui battent la générale, marche sur la Convention.
Elles crient : « Du pain ! Du pain ! et
la Constitution de 93 ! » Certaines d’entre elles ont été fouettées, insultées
par les muscadins, et
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