Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

publicité, mais par l’action » ; et insiste : « Je n’explique pas, je concrétise. » Plutôt à grande échelle qu’en catimini. Plutôt avec constance qu’avec cette rage soudaine que l’on croise trop fréquemment chez ses voisins de comptes en banque.
    Enfant, Steve Fossett était aussi faible en muscle qu’en conviction. Pour affermir ses dorsaux son père préconisa l’alpinisme et le scoutisme. L'art de s’élever d’une part et de partager d’autre part, dans un cadre à la mesure des ambitions qu’il lui promettait : la Californie, les Rocheuses, le Nouveau-Mexique. Côté bachotage, le jeune homme apathique multiplia les exercices avec davantage d’application et de réussite. Dans le cadre des universités de Stanford puis de Washington, il accumula une collection de diplômes à peine moins étoffée que les palmarès de Michael Schumacher et Tiger Woods réunis.
    L'informatique l’attire, l’accapare, mais ne le tient pas éloigné de son penchant pour le plein air pour autant. La tête bien faite entend que ses jambes suivent. La lubie de ses copains de promotion, par exemple, qui lui commandent, au terme de leur fête de fin d’année, de rejoindre à la nage la prison d’Alcatraz, échouée au milieu de la baie de San Francisco, et d’y planter – le bagne mythique était alors encore en activité – le drapeau de leur collège !
    La discrétion, l’audace, l’obstination : il ne faut pas chercher plus loin le triangle magique où se perdent toutes les priorités du destin le plus aventureux et le plus éclectique de ces dernières années. Un cœur froid et une âme de rêveur. Une tempérament raisonné et des tocades d’adolescent. Fort des revenus que lui accorde l’organisme boursier qu’il a créé – Lakota Trading Inc. –, occupé à jongler vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec des tonnes de soja, de cuivre ou de pâte à papier, Fossett n’a bien sûr jamais été gêné aux entournures et toujours trouvé les moyens d’assouvir ses surenchères. Sur les sommets les plus impraticables, les circuits automobiles les plus compétitifs ou les mers les plus inhospitalières.
    Désireux de courir les « 24 Heures du Mans » ou le « Paris-Dakar », il commande, comme qui rigole, une Porsche 962 C ou une Mitsubishi T 3 à sa pointure. Soucieux de pénétrer le monde de la voile de haut niveau, il entre en contact avec le Canadien Mike Birch, et lui pose la seule question qui mérite d’être suggérée : « Quel est, actuellement, le bateau le plus rapide de la planète ? »
    Deux ans plus tôt, Florence Arthaud a traversé l’Atlantique en un temps record, et remporté la « Route du Rhum ». La réponse s’impose et, avec elle, la réaction de Fossett : dès la semaine suivante, il est à Paris, rue Pierre-I er -de-Serbie, au siège du sponsor propriétaire de l’engin. « Vous en voulez combien, de votre bateau ? » Aux abois, l’amateur espère 3,2 millions de francs et récupère un chèque équivalent dans la seconde. Passé une première expérience autour des îles Britanniques et trois mois de mise au point, Fossett termine cinquième de la célèbre transat française en 1994.
    Un été plus tard, toujours à Paris, l’insatiable achète – beaucoup moins cher – un carré Hermès à Peggy son épouse. Le foulard est illuminé des portraits de Montgolfier, des frères Wright, de Blériot, Yeager, Armstrong. L'invitation au voyage est impérieuse, qui pousse le mari à souffler à l’oreille de sa dulcinée : « Et pourquoi pas moi ? » Efficace et romantique à la fois, Fossett réclame au meilleur fabricant de ballons du monde – un Anglais installé au pays de Galles – un engin en hélium susceptible de rebondir de continent en continent. Après vingt heures de pratique seulement, il ose une première traversée de l’Atlantique en solitaire. Le Pacifique suivra, puis le tour du globe, cela va de soi.
    Il y a chez notre milliardaire sans complexes cette facilité d’octroi et de passage à l’acte qui caractérise les fortunes généreuses. Mais il n’y a pas que cela. Une fois récupéré son cadeau merveilleux, le béotien s’investit à son tour. En temps et en huile de coude. Il consulte des ingénieurs ou des stratèges éminemment versés dans la spécialité choisie. Il étudie, assimile et suggère. Trois fois, dix fois s’il le faut. Le Forrest Gump du jusqu’au-boutisme sans raison ne dilapide pas que son argent, il