Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
de leurs avantages. »
Menacés par une bonne demi-douzaine de projets crédibles – celui du milliardaire anglais Richard Branson et celui de son voisin de fortune Steve Fossett entre autres – Bertrand Piccard et Wim Verstraeten se lancent, le 13 janvier 1997, à l’assaut de l’ultime pari du XX e siècle. Leur ballon, haut de quarante-cinq mètres, renferme près de 10 000 m 3 d’hélium. Une équation supposée gagnante à ceci près que le vol se transforme en plongeon dans la Méditerranée six heures après le départ seulement! Un coup pour rien, heureusement sans conséquence : toutes les autres tentatives envisagées cette année-là ont, elles aussi, échoué avant terme.
Même scénario ou presque un an plus tard. Toujours en plein hiver pour répondre à la fenêtre météo la plus favorable, toujours au départ de château d’Œx, la Mecque de l’aérostation suisse. Wim Verstraeten est, bien sûr, du voyage, ainsi qu’un troisième larron, l’Anglais Andy Elson, élevé au grade d’ingénieur de bord. Cette fois, le vol du Breitling Orbiter s’éternise neuf jours et dix-sept heures durant, mais s’achève dans un arbre en Birmanie. A l’origine de cette deuxième faillite : une panne d’ordinateur et un détour exagéré pour contourner la Chine qui n’avait pas délivré à temps les autorisations indispensables.
Là encore le préjudice n’est pas irrévocable : la concurrence a, de la même manière, piqué du nez plus tôt que prévu. Dès la ligne de départ pour l’équipe Rutan-Melson, en plein Pacifique pour la paire Branson-Lindstrand. En février 1999, tous les compteurs sont remis à zéro. « L'année de la dernière chance », prévient Piccard. Qui vérifie le moindre boulon de son engin et obtient toutes les permissions de navigation imaginables. Même l’entente avec Elson ne résiste pas à cette ultime effervescence, ni celle avec Tony Brown son remplaçant désigné. Trois jours avant le départ, le médecin-psychologue, spécialiste en atomes crochus et connivences partagées, opte pour Brian Jones, ex-pilote de la Royal Air Force, par ailleurs représentant en pharmacie, qui se révélera un coéquipier à la fois placide et efficace.
Ce troisième et victorieux voyage ne fut pas pour autant une promenade de santé. Plutôt une addition de chances et d’intuitions. Cable & Wireless , le concurrent le plus sérieux du Breitling Orbiter, est contraint à l’abandon à la verticale du Japon alors qu’il est à mi-chemin à une vitesse record. Dans le même temps ou presque, Luc Trullemans et Pierre Eckert, les météos dévoués de l’équipe Piccard, lui indiquent une porte de sortie inattendue vers le sud alors que son engin s’engage dans un cul-de-sac nuageux à proximité des îles Hawaii.
« Prisonniers de notre direction, nous étions libres de notre altitude » : dans son compte rendu d’aventure ( Le Tour du monde en 20 jours ), Bertrand Piccard insiste plus d’une fois sur le dilemme de l’aérostier. Avec d’autant plus d’à-propos que, lorsqu’il se remémore tel ou tel changement d’aiguillage, il remplace, volontiers, le mot « altitude » par le mot « attitude ». Comme pour mieux extrapoler le credo qui l’anime : « Si la vie impose à tout un chacun sa conclusion obligatoire, elle nous offre aussi le loisir de choisir notre voie avant de nous y soumettre... »
Brian Jones et Bertrand Piccard ont certes accumulé de belles doses de stress, enduré une série de migraines carabinées et même développé un début d’œdème, mais ils ont surtout maîtrisé leur beau voyage. « Emblématique » et « symbolique », selon son maître d’œuvre, qui, à la faveur des multiples conférences ou conseils qu’il consent, insiste sur la métaphore que sa rotation silencieuse impose : « Faire le tour du monde est une chose, en mesurer les richesses en est une autre. Au gré des caprices de la nature, il est possible, mieux que partout ailleurs, de comprendre les éléments qui en garantissent l’équilibre. Si le grand public a adhéré à notre aventure c’est qu’elle possédait, sur beaucoup d’autres, l’avantage de montrer une “ face ” différente du monde. Non pas la “ face ” des guerres et des catastrophes qui font le quotidien de notre actualité, mais la “ face ” des richesses de notre planète et des bienfaits de la recherche. »
40 805 kilomètres de pur bonheur, entamés dans la froidure des Alpes
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