Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

jeu de piste où la chance eut son mot à dire, la patience aussi, mais plus encore la diligence de ceux-là mêmes que j’imaginais totalement inabordables. Certes tous ne se sont pas empressés de semblable façon. Leurs ego, caractères et comportements, pour le moins contrastés, m’ont réservé plus d’une surprise. Mais tous ont été animés d’une réelle envie de partager. Comme si leurs innombrables épanchements préalables, plutôt que de les inciter au repli, les avaient invités, tout au contraire, à communiquer davantage.
    Je me souviens, en particulier, du premier fax que j’ai envoyé à Edmund Hillary, là-bas, en Nouvelle-Zélande. Et, plus encore, de sa réponse manuscrite, réceptionnée trois ou quatre jours plus tard : « Si vraiment vous n’avez rien de mieux à faire, pourquoi pas, venez me voir... » Alors que je cherchais par la même voie à connaître son numéro de téléphone afin que nous convenions d’un rendez-vous plus précis, son second fax acheva de me séduire : « Ne vous tracassez pas, arrivé à Auckland, vous m’appellerez de votre hôtel : mon nom est dans l’annuaire ! »
    Bien sûr il fallut, de temps à autre, faire preuve de plus de persévérance, compter sur l’appui d’un intercesseur, me plier, à la dernière minute, aux exigences d’un emploi du temps trop encombré, mais, dans l’ensemble, rien de sérieux n’entrava le bon déroulement de ma démarche. Mes modèles comptèrent parfois leur temps, mais, rarement, le plaisir qu’ils eurent à solliciter un peu plus leur mémoire. Me retrouvant face à eux j’avais le sentiment d’avoir accompli une bonne partie du chemin. La première question? Je dois l’avouer, elle hésita plus d’une fois, otage d’un paradoxe constant : si je brûlais de mieux connaître mes interlocuteurs, j’éprouvais aussi le curieux sentiment de déjà tout savoir ! Non seulement leur vie et leur parcours, mais aussi les commentaires et interprétations que d’autres avaient nourris à leur encontre.
    Je n’étais pas assis depuis trente secondes face à Chuck Yeager qu’il me lança mi-rieur mi-agacé : « J’espère que vous n’êtes pas venu me parler du mur du son ! » Et de quoi d’autre aurions-nous pu nous entretenir? Je le confesse : souvent, en pareille situation, j’ai éprouvé quelque gêne à poursuivre l’échange. Au point que les questions que je posais devenaient accessoires. Seul importait le privilège d’être là. Une atmosphère, une ambiance, un silence. Heureusement, le cas échéant, la bande magnétique qui courait pallia mes absences et accumula quantité de détails alors que je m’égarais davantage. Je n’étais sûr que d’une chose : malgré leurs nationalités et activités si différentes, leurs caractères et états d’âme si dissemblables, tous les don Quichotte que j’interrogeais se ressemblaient. Emanaient d’eux des certitudes et des convictions rares. Et aussi la preuve que si « tout homme porte, en lui, plus grand que lui » (Saint-Exupéry), eux-mêmes disposaient, sur le commun des mortels, d’un crédit encore plus exceptionnel.
    Pour ces éclaireurs l’évidence ne fait aucun doute. Tous possèdent une encolure d’avance sur le conformisme des situations et la banalité des événements. Un supplément d’âme qui, à toute heure et en toute circonstance, leur permet de se détacher du troupeau. Sans doute sont-ce eux « les brebis qui n’appartiennent pas à la bergerie » telles que les Saintes Ecritures les ont définies. Certes depuis cinquante mille ans les hommes ne tiennent pas en place et les aventuriers encore moins ; eux qui inlassablement rêvent de progrès et envisagent un meilleur. Derrière le faîte de la prochaine colline, plus loin que la plaine qui lui succède ou la mer qui la borde. Vers un territoire (forcément) vierge et un horizon (évidemment) limpide. Pourquoi se satisfaire de l’acquis lorsque l’on peut anticiper un futur? Pourquoi camper sur ses certitudes lorsque l’imaginaire vous réclame ?
    Moi qui ai passé une bonne partie de mon existence au creux d’un fauteuil, un livre sur les genoux, je n’ai jamais envisagé l’homme autrement qu’en mouvement. En quête. Persuadé que l’inconnu recouvre toujours d’éventuelles promesses. Et sa révélation d’obligatoires trésors. Certes, la démarche de l’aventurier relève (souvent) de l’égoïsme le plus pur, confine (parfois) à l’autocélébration