Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

Mais cette nouvelle expérience m’a surtout offert l’occasion de découvrir l’aérostation, un mode d’exploration alors en pleine ébullition. » Si les tout premiers « plus légers que l’air » ont quitté le sol dès la fin du XXIII e siècle, si Jules Verne s’en inspira à maintes reprises, il a fallu attendre le mitan des années 1980 pour que ceux-ci envisagent des voyages au long cours réellement maîtrisés et contrôlés. Grâce à une série de progrès techniques appropriés – matériaux plus légers, gaz mieux adaptés, systèmes de lests enfin efficaces –, mais aussi grâce à une poignée d’éclaireurs passionnés.
    Le Belge Wim Verstraeten est de ceux-là. Déjà, il a survolé les Alpes plus d’une centaine de fois et accumulé les raids en Europe et jusqu’au Kenya. C'est lui qui a persuadé Piccard de tenter, depuis son bord, son saut remarquable et c’est lui encore qui lui suggère de prendre part, toujours en sa compagnie, à la première course transatlantique du genre. Une belle intuition : parti du Maine, atterri en France cent vingt-deux heures plus tard, le tandem remporte l’épreuve au printemps 1992 et nourrit, dans la foulée, d’autres pérégrinations et surenchères.
    L'idée d’un tour du monde non-stop fait son chemin. En Suède, en Grande-Bretagne, au Canada, aux Etats-Unis, en Australie une douzaine d’équipes s’activent et s’interrogent. Les perspectives du siècle nouveau qui s’annonce aiguisent les appétits et stimulent les commanditaires. Partout, il est question de la dernière « grande aventure humaine ». Avant que les robots et autres satellites n’imposent leur diktat, les vertus supposées obsolètes des héros authentiques semblent gagner une seconde jeunesse. Il convient de faire vite, d’accélérer le mouvement. Un mécène, comme au temps où Lindbergh, Fonck, Bird ou Nungesser rêvaient de rallier New York à Paris d’un seul coup d’aile, suggère même une prime de un million de dollars au premier ballon capable de boucler une entière circumnavigation sans autre assistance que celle des vents et des courants d’altitude.
    Les problèmes à résoudre ne sont pas minces. Principe de base : si les aérostiers peuvent influer sur les mouvements ascensionnels de leur engin (en larguant du lest ou en modifiant la température du gaz qu’ils emportent), ils ne peuvent, en revanche, le diriger à leur guise. Pour progresser au mieux, ils doivent donc repérer les vents les plus porteurs qui, subtilité non négligeable, ne se situent pas toujours aux mêmes altitudes ! Second handicap : si, pendant la journée, la chaleur du soleil attire naturellement le ballon vers le haut, si les brûleurs peuvent compenser tel ou tel mouvement intempestif, la nuit – synonyme de froid et donc de perte d’altitude – peut vite se transformer en cauchemar.
    Grâce à deux enveloppes superposées – une « interne », remplie du traditionnel hélium sans quoi les ballons ne prendraient jamais leur envol, et une « externe », saturée de propane, utilisée comme un banal radiateur d’appartement – l’ingénieur anglais Don Cameron semble avoir trouvé la parade. Encore convient-il de soumettre son invention à des vents suffisamment violents pour qu’ils garantissent son déplacement 40 000 kilomètres durant.
    Les météorologues ont fait leur choix : selon eux seul le « jet-stream » de l’hémisphère Nord, qui souffle en permanence d’ouest en est, est suffisamment fiable et régulier, surtout en hiver où il est particulièrement intense, les avions des vols réguliers transatlantiques en savent quelque chose. Avec un nouveau bémol à la clef : son cours, situé à environ 10 000 mètres d’altitude, impose aux « ballonistes » de vivre leur virée vertigineuse à l’intérieur d’un caisson pressurisé à peine plus accueillant que le tambour d’une machine à laver.
    De tout cela, Bertrand Piccard est conscient et informé. Voire rassuré. Après tout son grand-père n’est-il pas l’inventeur de la toute première cabine « hermétique » de l’histoire et son père l’auteur d’une plongée océane à l’intérieur d’un semblable coffre-fort? « Franchement, j’étais en terrain de connaissance. Ma démarche était tout à fait comparable à la leur : conduire une capsule sécurisée au gré des éléments sans chercher à les contredire, mais en tirant, tout au contraire, un profit maximal de leurs vertus et