Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
Prologue
Je n’ai jamais escaladé l’Everest, ni traversé l’Atlantique, ni rallié quelque pôle que ce soit. Ni osé. Ni entrepris. Ou si peu. Du bout du pied, de l’aile ou de l’étrave. Par imitation, par procuration. J’ai peut-être rêvé d’accompagner les antiques pilotes de l’Aéropostale, obéi aux mêmes escales qu’eux, traversé des cieux équivalents, mais au titre de passager, dans un Cessna flambant neuf, sans autres responsabilités que d’observer et d’apprécier. J’ai sans doute pénétré le terrain de jeu des valeureux conquérants himalayens, compris ce que l’interminable d’une marche d’approche représente et subi, à mon tour, les effets émollients de l’altitude, mais avec l’aide d’un jeune Sherpa chargé de porter mon sac et l’unique contrainte de rebrousser chemin juste avant que les difficultés ne deviennent trop sérieuses. J’ai éventuellement pris le sillage des crânes cap-horniers en route pour le Pacifique, encaissé, comme eux, le flagellant des embruns et le déferlement des vagues, mais à bord d’un navire rassurant doté qui plus est d’un moteur surpuissant.
J’ai au mieux fantasmé et imaginé. Au pire prétendu et convoité. Mais jamais, au grand jamais, je n’ai vécu et enduré. Sur le terrain, à Cap Juby, Namche Bazar ou Ushuaia, j’ai peut-être corroboré quelques données historiques, topographiques ou climatiques, mais j’ai surtout mesuré l’étendue de mes incompétences. Pis, en ces lieux chargés de légende et de gloire, où la crème des aventuriers s’est illustrée, je me suis toujours considéré comme une pièce rapportée. Dans la peau d’un invité importun, dans le rôle d’un passager clandestin. Incapable d’évaluer avec précision les mérites de ces êtres qui, par définition, « méprisent la mort » (Jules Roy) et qui, à cause de cela, sans cesse, dominent la vie.
Ce handicap m’apparut d’autant plus étrange que j’étais, mieux que d’autres, informé de leurs faits et gestes, coutumier de leurs mérites, instruit de leurs accomplissements. Tout à fait capable d’évaluer la nature de leurs aspirations et de rendre compte de leur courage. Car à défaut d’avoir, ne serait-ce qu’un peu, « vécu » l’aventure, je l’ai, depuis toujours, énormément « lue ». Un long compagnonnage, nourri à la source de mille journaux de bord, mémoires ou carnets de route qui, tous ensemble, m’ont apporté une multitude d’informations et de connaissances susceptibles de m’éviter les raccourcis faciles et les interprétations péremptoires.
C'est une chance : les aventuriers que j’admire se sont tous, avec constance, voire répétition, épanchés et exprimés. Ma bibliothèque croule sous leurs témoignages, les anthologies qui les rassemblent et les études qui leur sont consacrées. Pas un qui se soit dérobé ou abstenu. Comme si leur « savoir dire » importait tout aussi sûrement que leur « savoir-faire ». Tous ne sont pas écrivains mais beaucoup s’en rapprochent. Il y a chez Walter Bonatti des phrases limpides dignes des meilleurs. Les livres de Edmund Hillary sont empreints d’humilité et de sagesse. Ceux de Heinrich Harrer chargés de repentir et d’émerveillement. Buzz Aldrin est clinique, mais en s’essayant au roman d’anticipation il a gagné ce grain de folie qui, jusque-là, lui faisait défaut. Bertrand Piccard est lyrique et Thor Heyerdahl toujours en quête d’informations nouvelles. L'égotisme de Reinhold Messner est patent, mais celui d’Alain Bombard l’est tout autant.
Toute cette littérature m’a appris. Elle m’a permis de cerner un personnage, de comprendre le comment d’une dynamique, d’entrevoir le pourquoi d’une vocation. Mais pas plus que mes timides tentatives de mise en situation, elle ne m’a enseigné la vraie nature de cette chevalerie, l’essence même de sa quête. Ces récits m’ont ému, troublé, bouleversé, mais ils ont, trop souvent, momifié les icônes en question. Manquait la vie, la chair, les sentiments. Loin de moi l’idée de penser qu’une simple conversation ou une rapide rencontre, même répétée ou prolongée, pouvait me permettre de mieux circonscrire mes admirations. Mais il fallait néanmoins que je dépasse le stade des intermédiaires et des relais. Que je les écoute. Que je les appréhende. Que je les sente.
Contacter mes héros fut un plaisir et les approcher un enchantement. Une manière de
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