Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
dépense aussi son adrénaline.
Des exemples? Il ignore tout des courses de traîneau, mais se met en tête de disputer l’« Idiataroad », un marathon de près de 1 500 kilomètres à travers les immensités glacées de l’Alaska. Ses chiens de meute ont été triés sur le volet, mais refusent de marcher au pas. Un stage intensif de six mois améliorerait-il leurs rapports ? Pas vraiment ? Le musher improvisé s’obstine. Las, son chien leader freine toujours des quatre pattes, Fossett s’énerve, se précipite sur la bête, se couche sur le ventre et lui mord l’oreille : enfin l’équipage file vers l’arrivée...
« De temps à autre, ose l’opiniâtre, il faut savoir patienter et se faire respecter... » Quitte à verser (parfois) dans l’humiliation, quitte à se mettre (souvent) en danger. Ses deux premiers échecs de traversée de la Manche à la nage auraient dû le dissuader à jamais. Le bateau suiveur, le médecin à charge, l’entraîneur personnel : tout semblait d’équerre sauf ses battements de pied par trop désordonnés. Troisième essai : le but est atteint, mais une hypothermie couche le nageur sur le flanc pour le mois suivant !
Une saison plus tard, la mode est à la conquête des sept sommets les plus élevés sur les sept continents de la planète (les deux Amériques et l’Antarctique en sus). L'intendance est à la mesure de l’enchaînement : avion privé, base d’entraînement, porteurs qualifiés. Les six premiers obstacles disent oui, mais l’Everest se refuse. Deux amorces d’escalade, une cheville foulée et une mauvaise adaptation à l’altitude plus tard, Fossett renonce. Cette fois pour de bon : « Se faire plaisir c’est bien, jouer avec la vie l’est beaucoup moins. »
S'est-il assagi pour autant? « J’ai vraiment pris goût à tout cela. J’aime me lancer sur des terrains nouveaux, apprendre toujours davantage, améliorer des performances. » C'est une quête personnelle et intérieure. Loin de toute ostentation. Fossett ne frime pas, ne se rengorge pas. Il est l’anti-Richard Branson – patron de Virgin et copain d’aérostation – par excellence. Bien sûr, il en impose. Son chalet de montagne est à peine moins grand que le Grand Hôtel de Saint-Moritz, sa villa de Big Sur suffisamment impressionnante pour que les décorateurs d’Hollywood l’ait choisie pour inviter Sharon Stone à y satisfaire son « Basic Instinct » à grands coups de pic à glace vengeurs. Mais pénétrez ces magnifiques demeures, et vous n’y découvrirez aucun mobilier tape-à-l’œil, pas la moindre toile frivole. Les gadgets sont sages, les objets choisis. A l’étage, ici et là, tout juste une batterie de fax et d’ordinateurs relie-t-elle le maître des lieux aux cinquante et quelques courtiers qui le servent de par le monde.
Fossett est un homme discret et organisé, il est surtout un candidat qui ne s’effraie de rien. Lorsque Bruno Peyron lance l’idée de The Race , en 1993, il est le premier à s’inscrire et à essuyer les plâtres. Construit en Nouvelle-Zélande, son Playstation est un monstre de carbone de trente-deux mètres de long qui lui coûtera fortunes et infortunes : un budget constamment revisé à la hausse, plusieurs vices de forme, un incendie et des avaries à la pelle. Trop haut sur l’eau, le monstre abandonnera la course, la descente de l’Atlantique à peine entamée. « Parce qu’il ne souffrait pas la comparaison avec ses concurrents français, parce que son propriétaire n’avait pas vraiment envie de croiser l’étrave avec eux », suggèrent, de concert, les sceptiques et les malveillants. Non sans raison : Steve Fossett est un individualiste forcené qui ne prise guère les coude-à-coude et préfère, et de loin, les raids indépendants.
En octobre 2001, après avoir fait subir un très sérieux lifting à son maxi-bateau, le voilà une nouvelle fois sur le pont. Pressé de pulvériser le record de l’Atlantique à la tête d’un équipage haut de gamme. 4 jours et 17 heures pour traverser la « grande mare » : cette fois le Landerneau de la voile est contraint d’admettre l’efficacité de son système et la qualité de sa démarche. Plus vite, plus haut, plus fort : les phobies microbiennes et les obsessions sexuelles en moins, notre Howard Hughes des temps modernes ne sait décidément envisager l’existence qu’en termes de superlatifs. Pas une année sans que l’on entende parler de l’une de ses envies
Weitere Kostenlose Bücher