Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
s’achète et tout se vend, le mystère demeure. Il est simplement plus difficile à appréhender et à comprendre.
Il est peu question d’aventuriers « cathodiques » dans ce livre. De ces boulimiques qui perpétuellement oscillent entre la solitude qu’ils chantent et la multitude qu’ils sollicitent. Qui s’inventent de nouveaux prétextes – pseudo-scientifiques, soi-disant humanitaires, prétendument écologiques – pour entretenir un peu plus leur si précieuse « image ». Qui partent à l’assaut des médias – avec sourires, agents et attachées de presse de circonstance – afin de préserver leur si indispensable « fonds de commerce ». Non que leurs mérites n’existent pas, ni leur talent, ni leur courage. Mais sont-ils vraiment heureux ces envoyés spéciaux d’un nouveau genre qui en même temps qu’ils vantent les vertus de la liberté sont conscients de perdre, chaque jour un peu plus, la leur en satisfaisant les appétits du Moloch qui les commande?
Affaire de point de vue et d’état d’esprit. La surabondance, la médiatisation, la compétition ont certes banalisé l’esprit de conquête, mais ces excès à répétition ont aussi, et par contrecoup, initié de réelles prises de conscience. J’ai croisé trop de faussaires professionnels, trop de menteurs patentés (et néanmoins attrayants, amusants, voire convaincants) pour ne pas apprécier, dans le sillage des authentiques qui m’importent, la naissance de nouveaux courants, de dissidences avérées, de contre-cultures certifiées simplement préoccupés de revenir à l’essentiel et de pointer du doigt certaines valeurs fondamentales.
On ne peut qu’applaudir tous ces alpinistes qui refusent toute logistique encombrante et gagnent par leurs propres moyens le pied des montagnes qu’ils convoitent. Tous ces polaires qui négligent les accumulations kilométriques et tentent de goûter, ne serait-ce qu’un peu, l’ascèse prônée par les découvreurs du temps jadis. Tous ces marins qui militent pour l’abandon de certains artifices électroniques et envisagent qu’un jour l’huile de coude reprenne le dessus. Tous ces voyageurs au long cours qui boudent les escales obligées et se perdent d’un pas nomade dans les déserts infinis. Tous ces aviateurs qui tournent le dos aux excès énergétiques et rêvent d’avions simplement solaires. Autant de résistants qui, certes, vont mathématiquement moins loin, moins haut, moins vite que leurs aînés, mais qui, ensemble, participent à une révolution souterraine qui rassure tout autant qu’elle enthousiasme.
Un homme à lui seul résumait cet enjeu primordial : Göran Kropp que j’aurais volontiers placé en queue de mon peloton merveilleux pour qu’il tienne justement éveillées mes plus belles curiosités. Nos premiers contacts téléphoniques avaient été plus que chaleureux. Nous devions nous rencontrer à Stockholm où sa famille le réclamait entre deux voyages. Un rendez-vous avait été fixé. Reporté une première fois, puis une seconde. La troisième devait être la bonne n’était la mauvaise nouvelle qui me parvint quelques jours plus tôt seulement : Göran avait trouvé la mort lors d’une ascension anodine, un simple entraînement quelque part dans les montagnes Rocheuses.
Reste son message. Dont on entend parfois l’écho, le soir, au détour d’un bivouac ou d’un port, d’un aérodrome ou d’un camp de base. L'histoire de ce jeune Suédois qui décida en 1996 de partir à l’assaut de l’Everest. Qui parvint au sommet de l’infini sans oxygène ni soutien d’aucune sorte. Qui, au préalable, avait rallié la chaîne des Himalayas à bicyclette. Et qui, mieux encore, comme pour boucler la boucle de ses exigences et de ses certitudes, était revenu en Suède par le même moyen de locomotion ! Un acte gratuit et inutile? Sans doute mais aussi une bien généreuse attitude porteuse d’optimisme et de conviction que n’auraient sûrement pas désapprouvée ses treize prédécesseurs.
HEINRICH HARRER
Une vie de pénitence
Il avait renoncé au ski et à l’alcool, mais jusqu’à ses derniers jours, jusqu’à sa disparition le 7 janvier 2006, à l’âge de quatre-vingt-treize ans, il conduisait son 4 × 4 et arpentait les sentiers forestiers sans désemparer. Il s’était fait prier, mais avait finalement accepté de bonne grâce. A la condition expresse que la rencontre ait lieu aux aurores et qu’elle ne s’éternise pas
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