Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
faire plier les Anglais sur le gazon sacré de Wimbledon. Le 31 juillet, les héros tout juste redescendus de l’Olympe sont convoqués à Breslau pour quelques discours et parades de circonstance. Un parterre de trente mille jeunes admirateurs béats ajoutant à l’emphase.
Des quatre intrépides, Harrer est le plus enthousiaste, le plus démonstratif, le plus disert. Les uniformes ne l’effraient pas ni les ordres venus d’en haut. Skieur anonyme aux Jeux olympiques d’hiver de Garmish-Partenkirchen en 1936, le voilà enfin occupant le devant de la scène. Sur les photos qui commémorent l’événement – situées en bonne place derrière les vitrines de son musée –, il côtoie le Führer, discute exploration avec Alfred Wegener, découvreur de la théorie de la dérive des continents, dont il épousera la fille, ou fraye avec Heinrich Himmler directement responsable de la mise en route des expéditions susceptibles d’essaimer « l’esprit conquérant » aux quatre coins de la planète.
En ces temps troublés, être alpiniste relevait du sacerdoce national. En Allemagne plus que partout ailleurs. Tous n’ont pas accepté le joug imposé, mais Harrer s’en est satisfait sans ciller. Trois mois jour pour jour avant la fameuse escalade de l’Eiger, il avait adhéré à la Schutz Staffel (section 38, n° 73896) au titre de Reichsportführer . Désormais victorieux, il se complaît dans un registre similaire. Ses excès de zèle sont patents mais son objectif limpide : rejoindre la prochaine campagne allemande en Himalaya. Une obsession qu’il justifiait a posteriori sur un ton mi-outré mi-péremptoire : « J’étais habité par cette éventualité. A l’époque, tout le monde ne parlait que de cela. Vaincre le premier 8 000 : vous êtes bien placés, vous Français, pour savoir ce que cela signifie ! J’avais vingt-six ans et l’on m’offrait cette perspective. C'était le rêve ! Seuls les projets nationaux avaient une chance de parvenir à bout d’un tel défi. La logistique était énorme, les moyens engagés considérables. Il était impossible d’envisager une ascension discrète comme à l’Eiger, il fallait obéir, accepter d’être dirigé... »
Depuis 1930, l’Allemagne dispute aux Anglais le privilège de camper sur l’un des toits du monde. L'Everest étant « fermé » pour raisons diplomatiques, Paul Bauer s’acharne en priorité sur le Kangchenjunga (8 580 m). Deux fois en vain. Le pouvoir vert-de-gris s’impatiente, augmente ses subsides et ses injonctions. Willi Merkl prend le relais. Sur le Nanga Parbat (8 126 m) cette fois. Mais les deux assauts qu’il commande, en 1932 et 1934, tournent à la catastrophe : quatre leaders et dix Sherpas disparaissent dans la tourmente ! La presse du Reich fait grand cas du sacrifice. Il y a de la revanche dans l’air. Le Nanga Parbat – « Unser Berg » (« Notre montagne ») insistent les thuriféraires du régime – est un Golgotha qu’il convient d’apprivoiser et de sublimer. Harrer l’ambitieux a parfaitement compris le sort qui sera réservé aux hommes qui parviendront à vaincre la « montagne mangeuse d’hommes ».
La vanité du jeune conquérant en puissance suffit-elle à expliquer son aveuglement? Les contempteurs du héros s’interrogent. D’autant que durant les dix mois qui séparent sa victoire de l’Eiger de son départ pour l’Asie, Harrer ne cesse de collectionner les dérapages. A la différence de ses trois compagnons de fortune (Heckmair, Vörg et Kasparek), il s’égare dans son rôle d’« archange exemplaire ». Se marie en grand uniforme le 25 décembre, se lie d’amitié avec Sven Hedin, le légendaire explorateur suédois, dont les sympathies pour le régime sont avérées, et tourne sous la direction de Leni Riefenstahl un film d’initiation intitulé Les Merveilles du ski . Placé sous le commandement de Peter Aufschnaiter, il embarque pour l’aventure, certes dans l’espoir de devenir le premier de la classe mais tout autant pour flatter les ambitions de ses commanditaires.
Une fois encore, la conquête du Nanga Parbat fait long feu : Aufschnaiter, Harrer, Chicken et Lobenhoffer, accompagnés de l’habituelle cohorte des porteurs, rebroussent chemin à 6 200 mètres d’altitude. Les conditions météorologiques sont déplorables, les dangers permanents. Pis, le 5 septembre 1939, la petite bande est arrêtée et emprisonnée par les troupes d’occupation anglaises à Las Beila, au
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