Azincourt
se contentaient de les regarder faire.
— Si ces maudits avaient un peu
de raison, ils nous attaqueraient, à présent, dit Evelgold.
— Peut-être vont-ils le faire,
dit Hook.
Quelques cavaliers revenaient à
présent vers les flancs de l’armée, mais ils ne semblaient pas se presser. Les
trompettes ne changèrent pas leur sonnerie. Les Français paraissaient se
satisfaire que les Anglais traversent tout le champ et les pensées de Hook
s’entrechoquaient sous son crâne. Était-ce bien le roi qui était venu leur
parler dans la nuit ? Il avait oublié de renforcer le milieu d’une de ses
cordes. Et le roi, prierait-il vraiment pour Michael ? La mort serait-elle
prompte ? Piers Candeler laissa échapper une bordée de jurons et ôta ses
bottes pour faciliter sa marche dans le bourbier. Hook se rappela l’archer
qu’il avait pendu à Londres et se demanda si l’homme avait éprouvé la même peur
quand il avait vu l’armée écossaise se précipiter pour la bataille sur la verte
colline d’Homildon, puis il songea à tous les autres Anglais qui portaient un
arc de guerre pour leur roi. Ils avaient combattu les Écossais, les Gallois,
s’étaient battus entre eux et toujours, toujours, ils avaient combattu les
Français, ceux-là mêmes qui ne bougeaient toujours pas. Leur immobilité le
terrifiait. Ils avaient l’air de savoir que la petite armée anglaise ne
pourrait que se jeter sur leurs lames.
Il se débarrassa à son tour de ses
bottes et continua à avancer déchaussé. C’était bien plus simple.
— S’ils bougent, cria Evelgold,
nous arrêtons, nous cordons nos arcs et nous plantons les épieux.
Les Français restaient immobiles.
Hook voyait d’autres hommes qui rejoignaient l’armée depuis l’est. Sur les
flancs, les hommes d’armes à cheval les observaient sans broncher, leurs lances
dressées, certaines garnies de fanions. Leurs visières étaient relevées et Hook
voyait leurs visages. Il était glacé, malgré la sueur qui ruisselait sur lui.
Il portait un gambison rembourré par-dessus sa cotte de mailles ; cela
pourrait arrêter un coup d’épée, mais une lance transpercerait sans peine cette
protection. Il essaya d’imaginer esquiver un coup de lance dans cette boue
épaisse : ce serait impossible.
— Au pas ! ordonna une voix.
Les archers étaient trop en avant
des hommes d’armes anglais qui, encombrés par leurs armures, peinaient à
avancer. Pourtant, l’armée commençait à remplir l’espace entre les deux forêts.
Le groupe de hérauts français, anglais et bourguignons avançaient eux aussi
vers les Français pour rester à mi-chemin des deux armées.
— Par le Christ crucifié,
grommela Evelgold, mais jusqu’où veulent-ils nous faire aller ?
Une voix cria aux archers de planter
leurs épieux. L’ennemi était proche, à présent, à deux cents pas tout au plus,
comme les cibles des tournois d’archerie, et Hook se rappela ces journées d’été
avec jongleurs, montreurs d’ours et ale à volonté, quand les archers tiraient
sous les acclamations de la foule.
Il enfonça sans peine son épieu dans
le sol meuble. Comme l’ennemi ne bougeait toujours pas, il en profita pour
affûter la pointe émoussée par les coups de hache, puis il sortit l’arc de son
étui de cuir. Tout autour de lui, les archers faisaient de même. Il planta une
poignée de flèches, pointes larges à main droite, pointes longues à main
gauche, et posa un baiser sur le ventre de l’arc, là où le bois sombre joignait
le clair. Mon Dieu, pria-t-il en silence avant de s’adresser à saint
Crépinien. Son cœur était comme un oiseau pris au piège, il avait la bouche
sèche et les jambes tremblantes, et les Français ne bougeaient toujours pas, et
saint Crépinien ne lui répondait pas davantage.
Les archers étaient déployés. Leurs
épieux ne formaient pas une ligne ininterrompue, mais ils s’étendaient sur un
espace aussi vaste que la place du marché où Henry avait fait brûler et pendre
les Lollards. Ils étaient espacés de deux pas, assez pour qu’un homme les
franchisse, mais trop peu pour qu’un cheval manœuvre sans peine. Étant alignés
sur plusieurs rangs, ceux de l’arrière ne pouvaient voir l’ennemi, mais cela
n’avait pas d’importance, car à deux cents pas la dernière ligne devrait tirer
en l’air pour atteindre les Français. Hook était en première ligne. Il vit
Thomas Perrill enfoncer son épieu quelques pas à l’arrière
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