Azincourt
croit qu’ils nous feront
prisonniers ?
— Non, que nous serons
victorieux.
Ses hommes eurent un rire amer. Hook
l’ignora et observa l’ennemi. Le premier rang d’hommes d’armes à pied
s’étendait sur tout l’horizon, hérissé de lances. Pourtant, personne ne
bougeait et les Anglais attendaient. Les chevaliers français continuaient
d’échauffer leurs chevaux et, comme les bêtes n’aimaient guère les sillons
embourbés, beaucoup étaient partis dans les pâturages herbeux au-delà des bois.
Le soleil montait derrière les nuages épars. Les émissaires du roi partis
proposer la paix revinrent, et un peu plus tard le bruit courut un instant que
les Français acceptaient de laisser passer les Anglais.
— S’ils ne veulent point se
battre, dit Scarlet, peut-être veulent-ils rester ici toute la journée !
— Nous devons passer, Tom.
— Mon Dieu, nous n’avons qu’à
fuir cette nuit et retourner à Harfleur.
— Le roi refusera.
— Pourquoi donc ? Il
désire mourir ?
— Dieu est à ses côtés, dit
Hook.
— Dieu aurait pu nous envoyer
de quoi manger.
Les femmes apportèrent ce qu’elles
avaient pu garder en réserve pour cette journée. Hook eut droit à une galette
d’avoine.
— Partageons-la, proposa-t-il à
Mélisande.
— Elle est pour toi,
insista-t-elle. (Elle était un peu moisie, néanmoins Hook en mangea la moitié
et lui donna l’autre. Ils burent de l’eau de la rivière qu’elle avait apportée
dans une outre. L’eau avait un goût rance.) Ils sont si nombreux, dit-elle en contemplant
l’armée ennemie.
— Ils ne bougent point.
— Que va-t-il advenir,
alors ?
— Nous allons devoir les
attaquer.
— Penses-tu que mon père est
parmi eux ?
— J’en suis sûr.
Elle ne répondit rien. Ils
attendirent. Encore et encore. Trompettes et tambour continuaient de sonner,
mais les musiciens se fatiguaient et la musique manquait d’entrain. Hook
entendit des rouges-gorges chanter çà et là dans les arbres dénudés qui se
dressaient sur le ciel comme des potences. D’autres oiseaux voletaient et
picoraient dans les sillons. Hook pensa à son village, aux vaches qu’on menait
à traire, aux cerfs qui couraient dans les bois et aux feux que l’on allumait
dans les maisons. Un brouhaha le fit revenir à la réalité et il vit que le roi,
toujours monté sur son petit cheval blanc et accompagné seulement de son
porte-étendard, s’était avancé devant les premières lignes. Il s’approchait des
archers du flanc droit, et son cheval, gêné par la boue glissante, avançait
précautionneusement. Le roi avait ôté son heaume couronné et la brise
ébouriffait ses cheveux courts, le faisant paraître plus jeune que ses
vingt-huit ans. Il arrêta sa monture à quelques pas des épieux, et les
centeniers ordonnèrent à leurs hommes de se découvrir et de mettre un genou en
terre. Cette fois, le roi accepta leur hommage et attendit que les deux mille
cinq cents archers soient agenouillés.
— Archers d’Angleterre !
s’écria-t-il. (Un silence se fit.) Nous combattons aujourd’hui pour cause de ma
querelle ! Notre ennemi me refuse la couronne que Dieu m’a accordée !
Aujourd’hui, les Français croient qu’ils nous humilieront ! Ils croient
qu’ils me traîneront enchaîné devant les foules de Paris ! (Un murmure de
protestation s’éleva parmi les soldats.) Notre ennemi a menacé de couper les doigts
de tout Anglais qui tirera une flèche ! (Le murmure s’enfla en un
grondement indigné, et Hook se rappela les doigts tranchés à Soissons qui
avaient été le prélude du massacre.) De tout Gallois qui tirera une
flèche ! continua le roi tandis qu’une vague d’acclamations s’élevait dans
les rangs. Ils croient tout cela, mais ils ont oublié la volonté de Dieu. Ils
ignorent saint George et saint Édouard qui veillent sur nous, et qui ne sont
pas les seuls à nous offrir protection ! Aujourd’hui est la fête de saint
Crépin et saint Crépinien, qui réclament vengeance pour le mal qui leur fut
infligé à Soissons. (Pour la plupart des archers, Soissons n’évoquait rien, ils
écoutaient malgré tout avec attention.) Il nous a été dévolu d’exercer cette
vengeance et vous devez savoir, aussi sûrement que je le sais, que nous sommes
en ce jour les instruments de Dieu ! Le Seigneur est dans vos arcs et vos
flèches, dans vos armes comme dans votre âme et votre cœur ! Dieu nous
protégera et anéantira
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