Azincourt
repoussez-les au centre de vos flèches. Voilà ce
que vous ferez ! Parce que, au centre, c’est là que je les pourrai
tuer !
— Si nous avons assez de
traits, dit Evelgold.
— Épargnez-les ! Car si
vous êtes à court, vous devrez combattre d’homme à homme et vous n’y êtes point
entraînés, certes non.
— Vous nous avez enseigné, sir
John, dit Hook en songeant à l’hiver passé, à combattre avec épées et haches.
— Tu l’es à demi, Hook, mais
qu’en est-il des autres ? (Hook comprit que ses compagnons ne seraient pas
de taille pour affronter les hommes d’armes français. Les archers étaient des
tailleurs et cordiers, fouleurs, charpentiers, meuniers et bouchers. Des
artisans qui avaient l’extraordinaire talent de bander la corde d’un arc d’if
et d’envoyer une flèche mortelle. C’étaient des tueurs, mais ils n’étaient pas
endurcis par les tournois, ni entraînés depuis l’enfance à la discipline des
lames. Nombre d’entre eux n’avaient d’autre armure qu’un gambison rembourré, et
certains n’avaient même pas cette maigre protection.) Plaise à Dieu que les Français
ne se jettent point sur eux !
Aucun des sergents ne répondit. Ils
pensaient à ce qui arriverait quand les hommes d’armes français, ces fervêtus,
viendraient les tuer. Hook frissonna et fut distrait par la vue de cinq
cavaliers qui avançaient sous la bannière royale anglaise au-devant des lignes
françaises.
— Que font-ils ? demanda
Evelgold.
— Le roi les a mandés appeler à
la paix, dit sir John. Ils exigeront que les Français cèdent la couronne à
Henry et nous accepterons de ne point les massacrer en retour. (Incrédule,
Evelgold resta bouche bée. Hook réprima un rire et sir John haussa les
épaules.) Ils refuseront ces termes, et nous nous battrons, mais cela ne
signifie point qu’ils nous attaqueront.
— Vraiment ? demanda
Magot.
— Puisqu’ils sont sur la route
de Calais, peut-être devrons-nous nous frayer un chemin au fil de l’épée.
— Mon Dieu… murmura Evelgold.
— Ils veulent que ce soit nous
qui attaquions ? demanda Magot.
— Je le voudrais, si j’étais
eux ! s’exclama sir John en se tournant vers l’ennemi. Ils ne veulent pas
avancer plus que nous, mais ils n’en auront point besoin. Nous irons à eux.
Nous devons atteindre Calais ou nous mourrons de faim ici. Dès lors, s’ils ne
nous attaquent point, nous les attaquerons.
Hook tenta d’imaginer quel effort il
faudrait pour traverser ces quatre cents toises de boue aussi glissante que
gluante. Que les Français attaquent, se dit-il en frissonnant. Il avait
froid et faim et il était épuisé. La peur l’assaillait et lui liquéfiait le
ventre, et il n’était pas le seul.
— Il faut que j’aille dans le
bois, dit-il.
— Si tu dois te soulager, que
ce soit ici ! répliqua sir John, qui redoutait que les hommes, perdant
courage, n’y restent pour s’y cacher. Personne n’ira dans les bois. Vous
chierez où vous êtes !
— Et vous y mourrez, dit
Evelgold.
— Et vous irez en enfer avec
vos braies crottées, gronda sir John. Peu me chaut. Cette bataille n’est point
perdue. N’oubliez pas que nous avons des archers et eux non.
— Mais nous n’avons point assez
de flèches, protesta Evelgold.
— Alors que chacune compte,
s’irrita sir John. Et toi, dit-il à Hook, ne peux-tu point éviter de faire sous
le vent ?
— Pardonnez-moi, sir John.
— Au moins, tu peux chier.
Songe à moi qui suis en armure. Je vous assure, vous ne sentirez point la rose
une fois cette journée finie. Et une dernière chose : que personne ne
prenne de prisonnier avant que j’en aie donné l’ordre.
— Vous croyez que nous
prendrons des prisonniers ? s’étonna Evelgold.
— Oui, et si nous le faisons
trop tôt, nous affaiblirons nos lignes. Vous devez combattre et tuer jusqu’à ce
que ces gueux n’en puissent plus, et seulement alors vous pourrez chercher à
rançonner. Evelgold, dis à tes hommes que nous festoierons avec les vivres des
Français ce soir.
Ou bien nous mangerons ce qui
nous sera servi en enfer, se dit Hook. Il retourna
péniblement vers ses hommes. Leurs épieux, plus de deux mille sur le flanc
droit, hérissaient le sol. Un homme pouvait se déplacer entre eux, mais nul
destrier n’aurait pu s’y aventurer.
— Que voulait sir John ?
demanda Will du Dale.
— Nous dire que nous mangerons
les vivres des Français ce soir.
— Il
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