Azteca
toujours l’action à la parole et il m’enseigna bien plus de choses
par son exemple que par des paroles toutes faites. Mon père ne manquait aux
qualités que l’on attend de nos hommes – force, bravoure, etc. – que lorsqu’il
se laissait rabrouer et houspiller par ma Tene.
Ma mère était la moins représentative des femmes de sa classe : la
moins modeste, la moins docile, la moins effacée. C’était une terrible virago,
le tyran de notre petite famille et la hantise des voisins. Mais elle se
piquait d’être un modèle de perfection féminine, aussi vivait-elle dans un état
de mauvaise humeur permanente envers tout ce qui l’entourait. Si j’ai jamais
appris quelque chose de ma Tene, c’est bien de ne jamais être content de moi.
Je ne me souviens d’avoir subi un châtiment corporel de la part de mon
père qu’en une seule occasion, et je l’avais bien mérité. On autorisait et on
encourageait même les garçons à tuer des oiseaux comme les corbeaux et les
mainates qui venaient picorer dans nos jardins. Nous le faisions à l’aide de
pipes en roseau qui projetaient de petites boules d’argile. Mais un jour, mû
par quelque mauvaise malice, je lançai une boule à la petite caille apprivoisée
que nous gardions chez nous. (La plupart des familles avaient de tels animaux
pour chasser les scorpions et autres vermines.) Puis, pour aggraver mon crime,
j’essayai de rejeter ce méfait sur mon ami Tlatli.
Mon père ne fut pas long à découvrir la vérité. Alors que le meurtre de
l’inoffensive caille aurait pu ne pas être trop sévèrement châtié, ce n’était
pas le cas pour le péché de mensonge, strictement interdit. Mon Tete dut
m’infliger la punition prescrite quand « on crachait bile et venin ».
C’est ainsi qu’on appelle les mensonges. Il fit lui-même une grimace en me
transperçant la lèvre inférieure avec une épine de maguey et il l’y laissa
jusqu’à l’heure du coucher. Ayya ouiya , douleur, honte, douleur, larmes
de remords, douleur !
Cette punition me laissa une impression si durable que je l’ai
consignée à mon tour dans les archives de notre pays. Si vous avez vu notre
écriture, vous devez avoir remarqué ces figures de personnages ou autres
créatures pourvus d’un petit signe symbolique en forme d’arabesque. Ce symbole
représente un nahuatl, c’est-à-dire une langue, ou encore, langage, discours,
son. Il signifie que la figure parle ou émet un bruit quelconque. Si le nahuatl
est plus recourbé que de coutume, en goutte d’eau, et accompagné d’un symbole
de papillon ou de fleur, c’est que la figure dit des poésies ou chante. Quand
je devins scribe, à mon tour, j’ajoutai un détail à notre écriture : le
nahuatl percé d’une épine de maguey, et tous les scribes l’adoptèrent bientôt.
Quand on voit ce symbole devant une figure, on sait que c’est la représentation
de quelqu’un qui ment.
Les châtiments infligés plus fréquemment par ma mère étaient distribués
sans hésitation, sans scrupules et sans pitié ; je la suspecte même
d’avoir pris un certain plaisir à me faire mal. Cela n’a peut-être pas laissé
de trace dans l’écriture de mon pays, comme le symbole de l’épine, mais cela a
certainement affecté mon histoire personnelle et celle de ma sœur. Une nuit, je
me souviens avoir vu ma mère fouetter jusqu’au sang le postérieur de ma sœur
avec un paquet d’orties parce qu’elle s’était rendue coupable d’impudeur. Il
faut dire que chez nous, l’impudeur n’a pas forcément le même sens que pour
vous, hommes blancs : l’exposition indécente d’un corps dénudé.
En fait de vêtements, les enfants des deux sexes allaient totalement
nus, quand le temps le permettait, jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans.
Ensuite, on couvrait sa nudité avec un long rectangle d’étoffe grossière, noué
sur l’épaule et drapé jusqu’à mi-cuisse. Quand ils atteignaient l’âge adulte, –
c’est-à-dire l’âge de treize ans – les garçons portaient le pagne maxtlatl sous
le manteau de dessus, le tilmatli, qui était alors d’une étoffe plus fine. A
peu près au même âge, cela dépendait du moment où elles avaient leurs premières
règles, les filles revêtaient la jupe et la blouse des femmes, et un
sous-vêtement assez semblable à ce que vous appelez une couche.
Pardonnez tous ces détails, mais j’essaye de resituer l’époque où ma
sœur fut ainsi battue. Neuf Roseau
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