Azteca
fenêtre et j’eus un instant de vertige en constatant la hauteur où j’étais
situé par rapport au sol. C’était la première fois que je me trouvais dans une
maison posée sur une autre maison, c’est du moins ce que je crus jusqu’à ce que
mon père m’ait montré, de l’extérieur, que notre chambre était placée en étage.
Je posai les yeux sur la ville, par-delà la zone du port. Elle
brillait, elle vibrait, elle éclatait de blancheur dans le soleil naissant. Je
me sentis fier de mon île natale, car les bâtiments qui n’étaient pas
construits en calcaire blanc, étaient recouverts de plâtre et je savais que
presque tous ces matériaux venaient de Xaltocán. Les constructions étaient
décorées de fresques, ou incrustées de bandeaux et de panneaux de mosaïques ou
de peintures colorées, mais l’impression dominante était ce blanc si vif,
presque argenté, qu’il me faisait mal aux yeux.
Les lumières de la nuit étaient presque toutes éteintes. Seul, le feu
d’un temple, qui couvait encore quelque part, faisait une traînée de fumée dans
le ciel. C’est alors que je vis une autre merveille : au sommet de chaque
toit, de chaque temple, de chaque palais, de chaque éminence, était planté un
mât et sur chaque mât, flottait une bannière. Elles n’étaient ni carrées, ni triangulaires,
comme des étendards de combat, mais c’étaient des oriflammes dont la longueur
faisait plusieurs fois la largeur. Ils étaient tout blancs, mis à part un
insigne de couleur. J’en reconnus certains, celui de la ville même, ou
d’Axayacatl, notre tlatoani, ceux des dieux. Mais d’autres m’étaient
inconnus ; je pensai que c’étaient les emblèmes des nobles locaux et des
dieux propres à la cité.
Vos drapeaux, à vous, hommes blancs, ne sont que des échantillons de
tissu, souvent impressionnants à cause de leurs blasons compliqués, mais ce ne
sont que des haillons qui pendent sur les mâts ou battent et claquent
hargneusement, comme la lessive d’une lavandière étendue sur des cactus. Au
contraire, les longues bannières de Tenochtitlân étaient tissées de plumes dont
on avait ôté la penne et dont on utilisait seulement le duvet le plus léger.
Elles n’étaient ni teintes, ni peintes, mais tissées de plumes de couleur
naturelle : plumes d’aigrette pour les fonds blancs et pour les motifs,
les différents rouges de l’ara, du cardinal et de la perruche, les jaunes du
toucan et du tangara, les bleus du geai et du héron. Ayyo , je vous le
dis et vous le jure, il y avait toutes les couleurs et les reflets qui, seuls,
peuvent venir de la nature et non de mélanges artificiels.
Mais le plus extraordinaire, c’était que ces bannières ne ployaient, ni
ne claquaient, elles flottaient. Ce matin-là, il n’y avait pas de vent. Seul,
le mouvement des gens dans la rue et des acali sur les canaux, déplaçait assez
d’air pour soutenir ces oriflammes gigantesques, mais qui n’avaient presque
aucun poids. Pareils à de grands oiseaux, hésitant à prendre leur vol et se
satisfaisant de dériver paresseusement, les pavillons se déployaient dans les
airs ; des milliers de bannières de plume ondulaient doucement,
magiquement et sans bruit, au-dessus des tours, des pinacles de la merveilleuse
île-cité. En me penchant dangereusement à la fenêtre, je voyais, au sud-est,
les sommets des deux volcans appelés Popocatépetl et ltxtaccîhuatl, la
« Montagne fumante » de l’encens et la « Femme Blanche ».
Bien qu’on fût au début de la saison sèche et que les jours fussent chauds, les
deux montagnes étaient couronnées de blanc – c’était la première fois que je
voyais de la neige – et l’encens qui brûlait tout au fond du Popocatépetl
exhalait une plume de fumée bleue qui flottait aussi paresseusement que les
bannières de plume au-dessus de Tenochtitlân. Je me précipitai pour réveiller
mon père. Il était sûrement las et ensommeillé mais il se leva sans rien dire,
en souriant de mon impatience à sortir.
C’était pour nous une journée libre, car le déchargement et la
livraison de la cargaison du bateau incombaient au transporteur. Mon père avait
une course à faire, un achat dont ma mère l’avait chargé, je ne me rappelle
plus quoi, aussi, nous prîmes d’abord la direction du nord, vers Tlatelolco.
Vous savez, frères révérends, que cet endroit de l’île que vous appelez
Santiago, n’est séparé de la partie sud que, par un
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