Azteca
ma première et seule visite en ce lieu. Cette visite avait été le cadeau
de mon père le jour de mes sept ans, jour où je reçus mon nom.
Auparavant, mes parents, me traînant derrière eux, avaient été
consulter le tonalpouhqui de l’île, ou celui qui connaît le tonalamatl, livre
traditionnel des noms. Après avoir déplié sur toute leur longueur les pages du
livre – elles recouvraient presque toute la surface du sol de la pièce – le
vieux devin examina soigneusement et en marmonnant chaque détail du thème
astral et les actions des dieux relatives au jour de Sept Fleur, du mois du
dieu ascendant, dans l’année Treize Lapin. Puis il hocha la tête, replia
respectueusement son livre, accepta son salaire – une pièce de fine étoffe de
coton – m’aspergea d’une eau dédicatoire spéciale et déclara que mon nom serait
Chicome-Xochitl-Tlilectic-Mixtli, en souvenir de la tempête qui avait présidé à
ma naissance. A partir de ce jour, mon nom officiel fut Sept Fleur Nuage Noir,
et de façon moins formelle, Mixtli.
J’étais assez satisfait de ce nom, un nom d’homme, mais le rituel qui
avait présidé à son choix ne m’avait pas beaucoup impressionné. Même à sept
ans, moi, Nuage Noir, j’avais des idées personnelles. Je prétendis que
n’importe qui aurait pu faire ça, moi par exemple, plus vite et pour moins
cher, mais on me fit taire vertement – Le matin de cet important anniversaire,
je fus conduit au palais et Seigneur Héron, en personne, nous reçut aimablement
et cérémonieusement. Il me tapota la tête et me dit avec une bonne humeur
paternelle, « Voici un autre homme pour servir à la gloire de Xaltocán,
pas vrai ? » De sa propre main, il dessina les symboles de mon nom –
les sept points, la fleur à trois pétales, la boule gris d’argile signifiant le
nuage noir – dans le tocayamatl, le registre officiel de tous les habitants de
l’île. Ma page resterait là aussi longtemps que je resterais à Xaltocán, pour
ne disparaître que le jour de ma mort, ou si j’étais banni pour quelque crime
monstrueux, ou encore si j’allais résider définitivement ailleurs. Je me
demande depuis combien de temps la page de Sept Fleur Nuage Noir a été détachée
de ce livre ?
En principe, il y avait bien d’autres festivités pour la fête du nom,
comme c’avait été le cas pour ma sœur : tous les voisins et les parents
étaient arrivés avec des cadeaux, ma mère avait préparé et servi un grand
nombre de plats spéciaux, les hommes fumaient des poquietl et les vieux
s’étaient soûlés avec de l’octli. Mais je ne regrettais pas de manquer tout
cela, car mon père m’avait dit : « Un chargement de frises de temples
part demain pour Tenochtitlân, et il y a de la place pour nous deux. On dit
aussi qu’il va y avoir une grande fête dans la capitale – la célébration d’une
nouvelle conquête ou quelque chose dans ce genre – ce sera ton cadeau
d’anniversaire, Mixtli. » Aussi, après un baiser de félicitations de ma mère
et de ma sœur, je suivis mon père jusqu’au quai de chargement de la carrière.
Il y avait sur tous nos lacs un va-et-vient constant de canots,
sillonnant les eaux dans toutes les directions. La majorité était les petits
acali à une ou deux places des pêcheurs et des chasseurs ; ils étaient
faits d’un seul tronc d’arbre évidé et taillé en forme de haricot. Les autres
s’échelonnaient jusqu’au canoë de guerre géant, pouvant contenir soixante
hommes, et notre acali de transport était constitué de huit bateaux presque
aussi grands, amarrés les uns aux autres. La cargaison de plaques de calcaire
sculptées avait été précautionneusement chargée à bord, chaque pierre
enveloppée dans une épaisse natte végétale.
Avec un tel chargement sur une embarcation aussi peu maniable, nous
avancions très lentement, bien que mon père fût l’un des vingt hommes qui
pagayaient (ou poussaient à l’aide de perches quand il n’y avait pas assez de
fond). Etant donné la direction – sud-ouest sur le lac Xaltocán, sud sur le lac
Texcoco, puis à nouveau sud-ouest jusqu’à la ville – il nous fallut couvrir
sept de ces mesures que nous appelions longues courses, qui équivalent environ
chacune à une de vos lieues espagnoles. Sept lieues à l’aller, donc, et notre
lourde péniche allait souvent au pas. Nous avions quitté Xaltocán bien avant
midi, et la nuit était déjà avancée lorsque nous
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